UNE MEMOIRE POPULAIRE DE LA GUERRE
Le Journal amusant est une publication hebdomadaire lancée par Charles Philipon le 5 janvier 1856 et diffusé sans discontinuer jusqu'en 1933. Elle couvre donc la guerre de 1870 sur un ton satirique qui permet d'analyser comment des Français (des dessinateurs aux lecteurs) ont pu vivre l'Année terrible par le rire... ou pas. Il raconte aussi l'après guerre et l'occupation allemande. Au-delà des caricatures, il aide à comprendre la manière dont les vaincus ont pu faire résilience de l'humiliation subie.
Dans deux numéros de septembre 1871, Louis Morel-Retz, alias Stop, met en scène "Les Allemands en province", belle occasion pour lui de se moquer de l'occupant sur un ton qui préfigure l'oeuvre d'Hansi pour l'Alsace. Le numéro du 30 septembre 1871 s'ouvre sur un dessin inattendu signé V. Marland, intitulé "Les Allemands chez eux". Ce titre fait écho à celui choisi pour présenter les dessins de Stop. Mais, cette fois, ce n'est pas le rire qui domine, plutôt une forme d'empathie pour l'Allemand d'une part, de colère contre les fauteurs de guerre d'autre part, sentiments guidés par des convictions pacifistes, antimilitaristes... internationalistes ?
Le retour : décoré d'une croix de guerre, l'ancien-combattant allemand, amputé d'une jambe, sous le regard de ses enfants et de son père, peut-être, invite sa femme à ne pas pleurer : "pour nous autres, pauvres peuples, la guerre c'est ça... avec des lauriers autour". L'important, dans cet amer constat est à lire dans le pluriel des "peuples". Vu par un Français, cet Allemand "chez lui" ne pleure pas sur son sort, il dénonce celui de tous les humbles.
En 1871, en France, l'Allemand ne fut pas toujours vu comme un barbare sur lequel il faudrait prendre sa revanche. La mémoire de la guerre se déclinait déjà au pluriel.