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Mémoire d'Histoire
23 octobre 2018

LES PETITS PATRIOTES DE 1870

Cres, remise de la médaille militaire à l'élève Pichon en 1874 (1893)En 1893, Charles Crès réalise un tableau intitulé La remise de la médaille militaire à l’élève Pichon en 1874. Cette œuvre rend hommage à un garçon de seize ans ayant combattu dans les rangs de l’armée française pendant la guerre de 1870. [...] Y eut-il d’autres très jeunes gens engagés dans la lutte armée pendant le conflit franco-prussien ? [...] Qui étaient-ils ? Combien furent-ils, quel âge avaient-ils ? [...] Bien des questions se posent et une recherche systématique reste à faire. De manière encore prudente, quelques observations peuvent toutefois être avancées.

Les exemples médiatisés

La guerre de 1870 a ses jeunes héros. Jules Pichon est l’un des exemples qui a le mieux résisté à l’usure du temps. [...] Isidore Lambert (1908)

Adolphe Baulmé s’engage dès septembre 1870 auprès des gardes mobiles chargés de la défense de Belfort. Dans la nuit du 26 janvier 1871, [...] il sonne la charge pendant toute la durée de l’action. [...] 

Pierre Miroux est le petit Bara de la guerre franco-prussienne. [...]

Mais quelle réalité se cache derrière ces images d’Épinal ?  

Des milliers d’enfants-soldats ?

Les sources permettent de recenser 530 cas de jeunes de moins de dix-huit ans enrôlés dans une unité militaire, [...] Les plus nombreux (237 d’entre eux, soit 44, 7 %) ont 17 ans (ils sont nés en 1853). Ils ont l’âge légal de l’enrôlement dans les unités combattantes. [...]

201 parmi ces garçons nés en 1853 sont morts pendant le conflit. En reliant ce chiffre au taux de 15 % de pertes françaises par rapport aux effectifs initiaux de l’armée (139 000 hommes sur 900 000 mobilisables), on obtient le nombre approximatif de 1 300 jeunes de 17 ans susceptibles de s’être enrôlés sous les drapeaux en 1870. [...]

Les autres ont entre 11 pour les plus jeunes et 16 ans. Ces derniers (nés en 1854) sont au nombre de 168. [...] 51 ont 15 ans (nés en 1855), 36 ont 14 ans (nés en 1856), 21 ont 13 ans (nés en 1857), 4 en ont 12 (nés en 1858) et 8 sont nés en 1859. Derrière ces différences d’âge, il n’y a évidemment pas identité de situation.

Des profils selon l’âge

Les motivations des garçons de dix-sept ans qui s’engagent parce que la loi les y autorise ne sauraient être différenciées de celles qui animent ceux qui se présentent dans les bureaux de recrutement au lendemain des premières défaites : il faut sauver la Patrie en danger. À la différence des conscrits appelés sous les drapeaux, nulle obligation ne les contraints. [...]

les volontaires de LambertÀ l’opposé des grands adolescents, se situent les enfants de troupe (une douzaine sur les 530). Leur âge varie entre 11 et 17 ans, mais ils comptent surtout parmi les plus jeunes des enfants présents sous les drapeaux. [...] Emile Cèré cite celui d’un dénommé Arnaud (16 ans) qui demanda un fusil et prit part à presque toutes les sorties faites sous Soissons. Libéré parce que considéré par les Prussiens comme un « gamin », il rejoignit ensuite le 15e régiment de ligne, accéda au grade de caporal le 16 décembre 1870, de sergent-fourrier le 26 et de sergent-major le 18 février 1871. De son côté, le Révérend Père de Damas découvre la présence de quatre d’entre eux au camp de Glogau où ils ont été déportés. [...]

Entre les 17 ans et les plus jeunes, il y a tous les autres garçons dont le profil reste difficile à établir sur la base de leur âge.

Des garçons venant de toutes les régions

[...] Premier constat : quinze départements de la métropole seulement sur les quatre-vingt-dix possibles ne sont pas recensés comme lieu de naissance d’un des 384 adolescents dont celui-ci est connu ; et ces quinze départements sont assez dispersés pour ne pas former un ensemble régional signifiant. [...] Les obstacles de la distance ou d’une mer à traverser ne jouent pas. On trouve ainsi trois corses [...], trois garçons nés en Algérie [...] et cinq  à l’étranger [...].

Certaines régions sont plus représentées que d’autres. [...] L’importance numérique des franciliens s’explique par le siège que subit la capitale pendant cinq mois et par l’enjeu national que représente sa défense. L’anonymat de la grande ville facilite aussi les enrôlements sous de faux âges déclarés. À une unité près, les 15 Alsaciens (départements du haut et du bas Rhin) et les 19 Lorrains (venus de la Meurthe-et-Moselle, de la Moselle, de la Haute-Saône et des Vosges) sont autant représentés que les Parisiens (34 jeunes). Ce point s’explique, là aussi, par l'implication des deux provinces [...mais] la guerre et ses enjeux n’est pas pour autant une explication suffisante : les Bretons (venus des Côtes d’Armor, du Finistère, de l’Ille-et-Vilaine et du Morbihan) sont 26 (6, 7 % des localisés), ce qui est assez conforme avec la proportion de population bretonne sur l’ensemble de la population française (6, 2 %).

Les communes de naissance renvoient autant aux grandes villes (Paris, Marseille, Lyon, Nantes…) qu’à des localités très modestes comme Savigné-sous-le-Lude ou Pierre-la-Trèche, en passant par des villes moyennes aussi diverses que Redon (35), Figeac (46) ou Morez (39). Cerner le profil de la population sur la base des origines est un indicateur, certes, mais qui n’apporte qu’une information sûre en l’état de la recherche : comme leurs aînés, les petits patriotes viennent de toute la France.

Des jeunes de toutes origines sociales

L’analyse des 527 patronymes identifiés permet de repérer ceux qui appartiennent à une aristocratie militaire plus ou moins ancienne. Fils du général tué à Loigny, Albert de Sonis s’engage alors qu’il n’a que seize ans (il est né en 1854). De son côté, Isidore Lambert cite le cas de Napoléon-Pierre-Mathieu de Bourgoing, fils du baron François, Grand écuyer de l’Empereur, né en 1857. [...]

 L'Oublié%20d'Emile%20Betsellère

 L’oublié, Emile Betsellère[11] (1872)

Les enfants de la bonne bourgeoisie d’affaire, industrielle ou plus traditionnellement tournée vers les métiers dits de robe (avocats, notaires, juristes, etc.), de financiers (banquiers, inspecteurs, etc.) et d’enseignants sont plus difficiles à repérer. Dans ces milieux, le service aux armées n’étaient pas forcément recherché et l’usage de payer un remplaçant pour palier au tirage d’un mauvais numéro lors des opérations de recrutement y était d’autant plus fréquent que le prix à verser n’était pas un obstacle [...]

Pour les enfants des milieux plus modestes, il est tout aussi difficile d’avancer des tendances. Quelques indices confirment cependant leur présence au niveau du recrutement. [...] Fils d’une couturière et né d’un père à l’identité non connue, le futur artiste-peintre Paul Boutigny a le profil de l’enfant à l’avenir incertain qui peut s’être engagé par conviction patriotique, mais aussi par calcul, l’armée pouvant lui donner une opportunité professionnelle que ses origines ne lui assurent pas. [...]

Parmi les engagés précoces, il y avait peut-être des garçons issus de milieux encore plus modestes [...] cherchant dans l’engagement une activité, une opportunité ou une source de revenus. Parmi eux, ceux qui pourraient être désignés comme étant « les 30 sous de moins de 18 ans » [...] Y eut-il parmi eux des « enfants vagabonds », issus des bandes qui vivaient dans Paris ? [...] Ces « gamins » qui vivaient d’expédients et de petites délinquances fréquentaient plus certainement les bandes de « maraudeurs », de « vendeurs d’obus » et autres objets de petits trafics que favorisaient les pénuries du moment. [...]

Le petit jeu des motivations personnelles

Quelques-uns parmi ceux qui s’engagent sont motivés par la vengeance : la mort d’un proche ou d’une figure charismatique, le spectacle d’une violence perpétrée par l’ennemi, l’humiliation subie ou ressentie par l’intéressé, sont autant de déclencheurs. [...]

L’engagement d’un jeune peut se faire aussi sous l’influence d’un aîné ou d’un mentor. Tel est souvent le cas des benjamins d’une fratrie. [...]

Le hasard joue aussi. Tel est le cas pour le dénommé Pistor, élève de l’école polytechnique en vacances chez son père le jour de la bataille de Frœschwiller (6 août) : « Apercevant une batterie démontée, dont l’ennemi allait s’emparer, ce jeune homme accourut, attela le cheval qu’il montait et ramena dans les lignes françaises le canon dont il s’était rendu maître ». Dans cet exemple, l’âge (17 ans), le milieu social et la vocation militaire (élève de l’école polytechnique), l’origine régionale (Alsace) et les circonstances (la présence sur place pour raison de congés) se combinent pour provoquer une action dont nous ignorons si elle débouche, par la suite, sur un engagement plus officiel dans un régiment. [...]

Parmi les jeunes tués figurent des garçons qui ont combattu pour la Commune [...] mais certains ont des antécédents acquis pendant la guerre étrangère. Jean Lamy (16 ans), qui s’engage dans un bataillon de fédérés le 12 mai 1871, vient des francs-tireurs des Vosges. [...]

En conclusion, [...] il apparaît que les jeunes qui se sont engagés dans la guerre ne sont pas un phénomène marginal, surtout en ce qui concerne ceux de 16 et 17 ans qui représentent un peu plus des trois quarts (76, 3 %) des garçons recensés (405 sur 530). Quelques profils se dessinent, que Jules Pichon, Adolphe Baulmé ou Pierre Miroux incarnent – peu importe ici l’authenticité ou non de leur histoire respective. La médiatisation dont chacun d’entre eux fut l’objet ne s’est pas faite par hasard.

Globalement, les motivations patriotiques de tous ces jeunes restent incontournables : on ne s’engage pas dans une armée en guerre avec tous les risques que la démarche implique sans entretenir un tant soit peu un tel sentiment. Bien qu’encore sommaire, l’analyse montre toutefois qu’il ne faut pas ignorer la part d’inconscience, de romantisme et/ou de curiosité liée à l’âge des individus concernés, ni exclure les raisons plus prosaïques de jeunes s’enrôlant par nécessité (avoir une ressource) ou opportunisme (trouver une voie). Cette réalité, dont les sources ne parlent pas parce qu’elles ne méritent pas de faire mémoire, permet d’imaginer que sous l’uniforme, la diversité sociale de la France de 1870 était réunie.

 médaille enfants volontaires

 La médaille des enfants volontaires de 1870-1871

Pour lire la version intégrale : 11 pages au format PDF avec 6 illustrations, cliquez sur le lien : Les_petits_patriotes_de_1870

Bibliographie

Cérè (Emile), Les petits patriotes, Paris, Armand Colin, 1895.

Deluermoz (Quentin), Les gamins de Paris, combattants de la Commune (1871). Les enfants-soldats, XIXe – XXIe siècles, approche critique. Paris, Armand Colin, 2012 ; p. 51-66. Disponible sur Internet.Deluermoz

Dieuleveult (Alain de), Les brutions et la guerre (1870-1962), La Flèche, 2016.

Lambert (Isidore), Les enfances héroïques, Etudes – récits – projet de loi. Paris, 1907.

Saint-Péray Magazine, « Un Saint-Pérollais, héros de la défense acharnée de Belfort pendant la guerre franco-prussienne de 1870 », 2003, p.8-9.

Thomas, (André), « Enfants perdus de la Commune », Culture et conflits, n° 18 (1995) pp.35-48 ; mis en ligne le 15 mars 2006.

Sitographie

Firmery (Dominique), Les militaires oubliés de 1870, Geneanet. Version du 15 mars 2017.

Mathieu (Frédéric), Guerre franco-prussienne, 1870-1871, Derniers vétérans, consulté en 2018.

MemorialGenWeb, Les monuments et les morts, consulté en 2018.

 

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Commentaires
P
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Comme vous le dites dans votre article version longue, le récit concernant Pierre Miroux est une pure légende créée à des fins patriotiques.<br /> <br /> J'ai cherché, et comme vous j'ai fait choux blanc sur les lieux évoqués. Même si certains ont cru y voir Liny-devant-Dun dans la Meuse :<br /> <br /> https://www.google.fr/books/edition/Le_Briard_almanach_r%C3%A9publicain/vcRCAAAAYAAJ?hl=fr&gbpv=1<br /> <br /> https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7485822g/f5.item.r=%22pierre%20miroux%22.zoom<br /> <br /> <br /> <br /> Mais rien ne correspond, pas de vieux château, pas de Maire appelé Rémy en 1870, pas de Pierre Miroux mort dans la commune en 1870.<br /> <br /> <br /> <br /> Même si Jules Legoux s'est peut-être inspiré de ce village, il a tout inventé. En fait ce récit est tiré d'un de ses ouvrages intitulé "Pro Patria" et publié en 1887. Comme l'indique La Liberté en novembre 1887, ce sont des petits romans patriotiques : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k47844113/f3.item.r=%22pierre%20miroux%22.zoom<br /> <br /> <br /> <br /> Le malheur a voulu que beaucoup de journaux ont repris ce récit patriotique sans en citer la source première et en laissant croire, sans forcément le vouloir, que c'était un récit véridique. Et voila comment se forge une fausse légende.
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