BAZILLE, L'ARTISTE QUI NE POUVAIT PAS MOURIR
La toilette (1870) est l’une des dernières œuvres créées par Frédéric Bazille. D’inspiration orientaliste, elle trahit une envie d’exotisme[1] que la guerre de 1870 lui donna l’occasion de combler sans lui offrir le temps de le traduire en chef-d’œuvre.
Ami des impressionnistes, Bazille était promis à un si bel avenir qu’il n’imaginait pas pouvoir mourir. Comme il le confia à la veille de sa mort au capitaine d’Armagnac avec lequel il fêtait sa promotion au grade de sous-lieutenant, il avait « trop à faire dans la vie ».
Né le 6 décembre 1841 à Montpellier, il monte à Paris en 1862 et s’inscrit à l’atelier de Charles Gleyre où il rencontre Monet et Renoir.
La guerre le surprend à l’aube d’une carrière qui s’annonce brillante. Marqué par les premières défaites de l’été, il s’engage au 3è régiment de zouave, déclenchant aussitôt l’ire de ses amis. Edmond Maire lui signifie qu’il n’a « ni le droit ni le devoir » de s’engager ! « Trois fois merde » lâche Renoir dans un style qui trahit la valeur de son propre engagement au 10e cuirassier, unité stationnée à Tarbes où il resta à l’abri du feu de l’ennemi !
Bazille s’est-il porté volontaire par « découragement profond » ? L’idée n’est pas très convaincante. S’il est « de très mauvaise humeur » parce que La toilette est refusée par le jury du Salon de 1870, Scène d’été a été accepté et lui-même se flatte que son œuvre soit bien exposée. En avril-mai il travaille aux deux versions de La négresse aux pivoines. De juin à août, il travaille Paysage au bord du Lez. La déclaration de la guerre contre la Prusse l’inquiète mais il n’est pas sans projets. S’il se plaint de migraines, il n’est pas vraiment dépressif.
Alors, pourquoi s’engage-t-il au 3è zouave, l’avant-garde de la 7e armée où le risque d’être exposé est majeur ? Deux raisons peuvent expliquer ce choix : son désir de découvrir l’Afrique du nord ; la possibilité aussi d’y retrouver son oncle, le commandant Lejosne, en poste à Constantine. Les lettres à sa famille témoignent toutefois de son désir de servir la Patrie en danger. Qu’il y ait beaucoup de naïveté dans ses motivations ne change rien à sa sincérité ni à sa détermination.
Le 30 août, il débarque à Philippeville. La déception le rattrape. Au-delà de l’ennui (« cette vie de brute m’assomme », écrit-il), la promiscuité avec les « repris de justice et filous » recrutés au sein de son unité le fait douter. L’Armée française n’est pas aussi prête que l’affirme le ministre de la guerre.
Après s’être félicité de la proclamation de la République, Bazille quitte l’Algérie le 27 septembre. Dirigé vers le front, il atteint Besançon le 22 octobre. S’ensuit pour lui une série de marches et contremarches qui le transportent vers la Loire. Le 24 novembre, il écrit sa dernière lettre à ses parents :
« Nous avons pris, en avant de Bellegarde, une position de réserve que nous avons gardé jusqu’à quatre heures du soir. À ce moment, nous avons entendu la fusillade qui se rapprochait : les mobiles de la haute Loire étaient en train de lâcher pied. Nous ne voyions rien, cachés derrière une crête de collines. L’ordre de marche a été accueilli avec joie par les zouaves. Les traînards et les manquants à l’appel ont rejoint en un clin d’œil. Nous sommes partis bien en ordre, marchant très vite et sans parler. J’étais un peu ému et très excité. Nous sommes passés devant une femme qui pleurait sans mot dire en nous regardant.
Quand nous avons atteint le sommet du coteau, nous avons vu à droite notre artillerie qui tiraillait mollement, et devant nous une ligne déployée de gardes mobiles qui faisaient feu sur des buissons lointains : il y avait peut-être des Prussiens derrière. Nous nous sommes massés en arrière d’un groupe de grands arbres dépouillés. Un pivert qui ne savait de quel côté s’envoler est resté à voleter au devant du bataillon pendant un quart d’heure. Les soldats levaient le nez pour le regarder. Un lièvre s’est mis à filer devant la ligne ; trois ou quatre zouaves lui ont jeté leur fusil, et la glace a été rompue ; on s’est mis à babiller, puis à parler très fort. Les coups de fusils sont devenus de plus en plus rares. La nuit venait. Nous avons entendu de loin un hourra poussé par les mobiles du Haut-Rhin. Ils avaient fait reculer les Prussiens. À la nuit tout à fait close, nous sommes retournés à notre position ».
Veillée d’armes !
Scène (non datée) de bataille, sans rapport avec 1870. Elle témoigne de l’intérêt que Bazille pouvait porter à ce genre de sujet. Aurait-il peint la guerre ? Il n’en a pas eu le loisir.À Montpellier, deux monuments entretiennent le souvenir de l’artiste : le monument funéraire sur sa tombe et la statue du square Planchon dressée en hommage à Jules-Émile Planchon et dont le personnage qui tend une grappe de raisin a les traits de Bazille.