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Mémoire d'Histoire
26 juillet 2019

LA GUERRE DE 1870 AUX SALONS DES BEAUX-ARTS (1872-1914)

1870 aux Salons (1872-1913)

But du graphique 

Ce graphique a été construit afin d’évaluer la place occupée par la guerre de 1870 parmi les œuvres exposées aux Salons des Beaux-arts (puis Salons des Artistes français) entre 1872 et 1914. Au-delà de l’évaluation spécifique, le but est d’observer comment la mémoire de la débâcle s’inscrit dans le milieu artistique et son public pendant toute la période concernée.

Construction du graphique 

Armand-dumaresq, défense de saint-quentin 1872Les œuvres retenues pour la construction du graphique sont celles qui figurent un évènement historiquement certifié (bataille, traité, crise…). En ont été exclus tous les sujets relevant de la légende, de la mythologie ou d’une tradition littéraire. Les peintures à thème strictement religieux ou hagiographique ont également été écartées. De même, le recensement a ignoré les scènes de genre en costumes (pas de référence à un fait historique précis) et les portraits de personnalités quand ils n’étaient pas liés à un événement particulier. A contrario, des personnages dont le souvenir renvoie à un événement unique (Charlotte Corday, par exemple) ou emblématique (Jeanne d’Arc dont le personnage donne lieu à représentation chaque année) ont été retenus. La notion d’épisode utilisée dans la titulature des œuvres a aussi conduit à retenir des sujets figurant des moments secondaires (un combat, par exemple, lié à une campagne militaire de référence sans être une bataille de renom). De même, les tableaux militaires, non localisables dans le temps ou l’espace (nombreux à partir de 1890), mais tendant à être associés à une époque précise par les détails du sujet (les uniformes, par exemple) ont eux aussi été recensés. Outre celle de la guerre franco-prussienne (1870-1871), les deux périodes les plus choisies par les artistes ont ensuite été isolées : la révolution d’une part (1792-1799) et le 1er Empire d’autre part (1800-1815). Ne proposant pas un tracé signifiant, les œuvres rapportées au Second Empire n’ont pas été conservées pour la réalisation du graphique.

Analyse des courbes 

Premier constat : Les tableaux historiographiques recensés sont en quantité marginale. Ils ne dépassent pas les 3,5 % des peintures exposées (chiffre atteint en 1872), 1,72 % en moyenne sur toute la période (hors aquarelles, dessins, lithogravures et pastels).

Deuxième observation : la guerre de 1870 est un sujet toujours présent, mais qui décline inexorablement : de 75 % des œuvres du genre en 1872, il passe à moins de 15 % en moyenne à partir de 1895. Les évocations du conflit (auxquelles il faudrait ajouter les allégories, les souvenirs d’Alsace ou de Lorraine et les sujets procédant pas association d’idées comme Invasion de Luminais ou Jacques Cœur de Patrois[1]) sont surtout importantes entre 1872 et 1885. Cette dernière date marque un tournant. À partir du milieu des années 1880, en effet, le recul amorcé à la fin de la décennie précédente se poursuit, mais la concurrence des deux autres périodes s’affirme jusqu’à devenir plus importante à partir de 1893 (1ère alerte en 1887). La période révolutionnaire pendant quelques années (1886-1890), puis celle du 1er empire (1893-1914) supplantent alors la guerre de 1870 dans l’expression du sentiment patriotique et national.

Troisième point : Les années d’Expositions universelles (1878, 1889 et 1900) sont marquées par une chute des représentations des épisodes historiographiques. La concurrence entre les diverses manifestations suffit toutefois pour expliquer ces accidents qui ne semblent pas représentatifs d’une tendance.

Interprétations 

champigny, un avant posteLa faible quantité des tableaux historiques ne présume pas d’un impact identique sur les Français. Ceux, notamment, qui relèvent de la peinture militaire[2] sont populaires et les spectateurs se pressent pour les voir. Ils sont également fortement diffusés par le biais d’images promotionnelles (des Chocolat-Louit, par exemple), les cartes postales au début du XXe siècle ou les cahiers d’écoliers. Ceux qui renvoient à la guerre de 1870 réveillent les mauvais souvenirs mais exaltent aussi les espérances quand ils mettent en scène des victoires (mêmes modestes) françaises. Le public atteint reste toutefois limité à une population bourgeoise et parisienne (celle qui fréquente les salons, les sites historiques et qui envoie ou reçoit des cartes postales). Le monde rural est peu impacté par ce type de sources. 

Pour la génération des artistes ayant vécu la guerre, la représentation apparaît comme un exutoire nécessaire avant de se muer en expression d’un hommage aux vaincus (Gloria victis) accompagnant un phénomène de résilience collective[3]. Si des spécialistes s’affirment vite comme maîtres du genre (Detaille, de Neuville) ou entretiennent une réputation déjà plus ancienne (Protais, Philippoteaux), de nombreux peintres non habitués aux thèmesRousseau, Paysage de neige et scène de guerre historiques composent pourtant au moins une œuvre sur cette guerre, témoignant ainsi d’un besoin d’extérioriser une souffrance intime (Souvenir de la guerre de Carolus Duran, Paysage de neige avec scène de guerre d'un dénommé Rousseau, Jeune soldat blessé de Tissot, par exemple).

François Robichon l’observait en 1997 : « Une fois la génération témoin en voie de disparition, la guerre de 1870 devient progressivement un lieu de mémoire. » La lassitude d’une part, l’inefficacité mémorielle d’autre part, encouragent le redéploiement des sujets vers les périodes plus glorieuses pour les armes françaises. « Après 1890, observe encore Robichon, le 1er Empire et Napoléon conjuguent les valeurs du nationalisme et l’exutoire de la défaite : Iéna venge Sedan. Napoléon, homme de guerre, devient la référence pour une génération de militaires fascinés par les leçons de Clausewitz. »[4] Pour expliquer ce changement, l’usure du sujet qui conduit Édouard Detaille à se reconvertir en peintre de l’armée nouvelle est également avancée ; cette usure, toutefois, n’affecte pas la peinture relative au 1er Empire, sujet bien plus traité encore et qui résiste pourtant.  

Le revanchisme, dont Édouard Detaille est un des porte-drapeaux, compte sur la peinture militaire pour servir la cause de la Revanche. Mais il se tourne, au fil des années, vers les époques plus glorieuses de l’histoire de France, même dans la défaite (celle de Vercingétorix à Alésia, de Napoléon en Russie Royer, Vercingétorix devant Césarou à Waterloo). Si 1870 reste la référence qui justifie l’idée de Revanche, ceux qui rêvent d’une guerre de reconquête des provinces perdues préfèrent utiliser des souvenirs moins décevants pour promouvoir l’esprit patriotique nécessaire à la réussite du projet. Même en faisant gloire des vaincus de l’année terrible, le souvenir désastreux de cette dernière semble déranger. Entre 1905 et 1914, l’appel à la mémoire d’Iéna (1806), d’Eylau (1807) ou de Wagram (1809) permet d’entretenir la germanophobie tout en faisant promotion d’un héroïsme plus exaltant que celui des soldats de 1870. Vercingétorix de Royer, Marceau de Laurens, les Jeanne d’Arc déclinées sous toutes les formes possibles et imaginables ou les cavaliers impériaux d’Édouard DetailleRoyer, la mort de Sonis et consorts font meilleure recette que le général Margueritte à Floing (Titeux), de Sonis à Loigny (Royer) ou le colonel de Lacarre à Elsasshausen (Morot). La mémoire de 1870 fait les frais de ce processus de substitution et les vétérans s’inquiètent de l’ignorance de la jeune génération accusée de ne rien savoir de 1870. Hormis les monuments aux morts principalement érigés dans les années 1880[5] et qui font mémoire des disparus sans obliger à entendre les discours vengeurs qui célèbrent leur érection, le souvenir de 1870 s’estompe. La jeunesse sait se montrer patriote, mais c’est plus en référence aux héros du « roman national » en construction qu’en souvenir de 1870. Entre 1893 et 1913, le premier empire est l’objet de deux fois plus de représentations que la guerre franco-prussienne (233 tableaux contre 120). C’est là que se matérialise toute la différence entre souvenir et mémoire : autant le premier reste confiné à l’époque qui lui sert de référence, autant la seconde peut user de tous les artifices à sa disposition du moment qu’ils servent la cause qu’elle a mission d’entretenir.

Picault, le droit prime la forceCe processus de substitution permet finalement de conforter l’idée selon laquelle l’acceptation de la guerre en 1914 ne fut pas vraiment porté par un revanchisme se référant à 1870 ainsi qu’il est parfois avancé. Du moins, cette référence ne passa pas franchement par le biais de la peinture, même si certains tableaux furent diffusés sur des supports faciles à distribuer comme les cartes postales. Les œuvres des artistes peintres sont sans doute restées hors de portée de la majorité de la population et une fraction non négligeable de celle-ci se mobilisa plutôt pour la défense des droits de la Belgique violés par l’agression allemande[6]. Cette défense des droits n’était pourtant pas totalement coupée de la mémoire de 1870 et du souvenir d’un Bismarck présenté comme un adepte de La force prime le droit (voir le tableau d’E. Mery en 1872, par exemple), thème largement repris et diffusé par les caricaturistes. Fiers de la haute idée qu’ils se faisaient d’eux-mêmes, les Français se voulaient défenseurs du principe inverse : Le droit prime la force, idée au nom de laquelle – ironie de l’histoire – ils acceptèrent pourtant l’usage de la force pour rétablir le droit !



[1] Les commentaires des critiques d’art et les cartels accompagnant les œuvres dans le livret du Salon attestent de l’association d’idée avec la guerre franco-prussienne.

[2] Voir la thèse que François Robichon lui consacre en 1997 : La peinture militaire française de 1871 à 1914. Paris, Giovanangeli, 1998.

[3] Voir « Surmonter le traumatisme de la débâcle », Mémoire d’Histoire, avril 2019.

[4] Ibidem, p. 54-55.

[5] Voir Dalisson (Rémi), Les guerres et la mémoire, Paris, éditions du CNRS, 2013.

[6] Voir Lecaillon (Jean-François), Le souvenir de 1870, histoire d’une mémoire, Paris, Giovanangeli, 2012 ; p. 155-162.

 

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