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Mémoire d'Histoire
17 mars 2025

RESSENTIMENTS ET REVANCHES

Pour Nietzsche, le ressentiment est une réaction qui affecte des personnes impuissantes « et qui ne se dédommagent qu'au moyen d'une vengeance imaginaire. » Sans doute a-t-il raison, mais cette vengeance n’attend que l’occasion qui lui sera offerte pour transformer la vengeance imaginaire en revanche factuelle. Au philosophe, l’historien préfèrera la vision de Marc Ferro lequel publiait en 2007, un essai[1] dans lequel, exemples à l’appui, il faisait du ressentiment un facteur de l’Histoire. Si l’impact des ressentiments est toujours difficile à évaluer, cette « forme de rancune mêlée d'hostilité envers ce qui est identifié comme la cause d'un tort subi ou d'une frustration » (Ferro) est un paramètre important, voire décisif, dans la fabrique des opinions d’hostilité envers la cible désignée et le déchainement des conflits. Les relations franco-allemandes en sont un exemple emblématique. Sur trois conflits en l’espace de 75 ans, les rancœurs accumulées ont facilité le déclenchement de deux guerres mondiales, le précédant de 1870 réveillant lui-même les vieux souvenirs de 1814-1815 pour justifier les actes et les exactions du moment. A contrario, la réconciliation des années 1960 puis la constitution du couple franco-allemand fut le résultat d’un souci partagé d’apaiser les ressentiments et, par une éducation soucieuse de faire mémoire des déconvenues générées par la haine, le fruit d’une volonté de transmettre aux nouvelles générations des sentiments d’estime réciproque.

Si l’histoire semble parfois bégayer, c’est souvent la faute des dirigeants politiques qui, par ignorance, négligence ou cynisme, sous-estiment la puissance des ressentiments quand ils ne les instrumentalisent pas. Poutine, aujourd’hui, est l’incarnation de ce défaut. Il parviendra peut-être aux fins impériales qui guident sa politique depuis 25 ans. Il semble sur la bonne voie pour arriver à ses fins. Il oublie toutefois deux choses qui se combinent plus ou moins :

1/ plus ils s’étendent, plus les empires coloniaux s’affaiblissent dans la mesure où ils nécessitent toujours plus de moyens pour contrôler les rancunes accumulée ;

2/ la conquête s’étant faite par le biais de la force plutôt que le droit, par le crime plutôt que la conciliation, elle a fabriqué du ressentiment à grande échelle aux périphéries de l’empire, en Tchétchénie, Géorgie, Ukraine, dans les communautés bouriates ou parmi les partisans de Navalny en Russie même, dans l’Afrique wagnérisée, dans les états baltes menacés, en Moldavie sous pression, voire en Europe par le biais de la guerre hybride. S’ils ne s’en détournent pas, la méthode condamne les Russes à devoir assumer l’effacement des mémoires des vaincus (ethnocide), leur anéantissement physique (génocide) ou à devoir perpétuer les mesures de répression aussi couteuses que criminelles. Dans l’Histoire, bien des peuples ont disparu du fait des conquérants sans pitié, mais la survivance des ressentiments des Natifs d’Amérique depuis 500 ans, celle des afro-américains depuis l’exploitation esclavagistes de leurs ancêtres, des Juifs victimes de siècles d’antisémitisme, des Palestiniens depuis 1948, des Tibétains depuis 1954, des harkis et des pieds noirs depuis 1962… etc., témoigne de la puissance des ressentiments en tant que machines à fabriquer de la revanche d’autant plus durable que la rancœur est une inclination transmissible.

 

[1] Ferro, Marc, Le ressentiment dans l’Histoire. Comprendre notre temps, Paris, Odile Jacob, 2007.

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  • Prolongement de mon laboratoire de recherche sur les guerres du second empire (Mexique, guerre de 1870), ce blog se propose de diffuser documents et articles sur le sujet... répondre à toute attente que vous m'exprimerez. N'hésitez pas.
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