LES LETTRES D'ALSACE-LORRAINE DE POTEMONT
Adolphe Martial Potémont (1827-1883) est un illustrateur connu pour ses représentations du vieux Paris [1]. La guerre de 1870 le fait témoin du siège de la capitale. Il y poursuit son travail dans le cadre d’un véritable journal iconographique qu’il publie dès 1871 en trois petits livrets : Paris pendant le siège, Paris sous la Commune et Les femmes de Paris pendant le siège. Au salon des artistes de 1872, il présente Village incendié pendant la guerre.
Son évocation du drame national ne s’arrête pas là. En 2012, le musée des Beaux-arts de Pau acquiert une huile sur bois de sa main intitulée Lettres d’Alsace-Lorraine datée de 1871-1872. L’œuvre est aussi connue sous le nom de Pensée pour l’Alsace et la Lorraine donnée par la galerie Artnet. La référence aux provinces perdues est à elle seule un indice suffisant pour comprendre à quoi fait allusion cette manière de nature morte ; le titre retenu par Artnet est plus explicite encore. Le tableau figure des enveloppes de correspondances déchirées et oblitérées. L’une porte le tampon bien visible « Metz 71 », une autre celui de « Strasbourg 71 » avec la mention « étranger » lourde de sens. La présence sur la première d’une pensée justifie l’un des titres. Elle renvoie surtout à l’idée d’un « ne m’oubliez pas » que viennent renforcer le semis de myosotis, fleur que la tradition associe à des phrases amoureuses comme « aimez-moi », « souvenez-vous-de-moi », « pensez à moi ».
Inattendu de la part de Potémont, ce tableau est très emblématique de l’état des esprits qu’il incarne et dont le message (ou l’option pro-française pour renvoyer au choix proposé alors aux Alsaciens d’opter ou non pour la France) est souvent repris par les artistes alsaciens comme Camille Pabst (La lettre de France, 1872 ; La jeune alsacienne dédiée à son ami Ranc) ou Gustave Brion (Nouvelles de France, 1874).
Artnet en présente encore une variante. Cette fois, les myosotis sont absents, les pensées plus nombreuses. Les dates d’oblitération y sont aussi plus lisibles : « février 1871 » pour Strasbourg (L’Alsace) et « 8 – 4 71 » pour Metz (La Lorraine). Potémont situe donc ces enveloppes avant le traité de Francfort (signé le 10 mai), à cheval sur le vote préliminaire du parlement réuni à Bordeaux le 1er mars 1871. Ce détail ne permet pas d’arrêter une date précise ou butoir de création ; il indique clairement, en revanche, l’intention de l’artiste qui les met en valeur : entretenir la mémoire des provinces perdues, qu’elles ne soient pas cédées à l’ennemi qui les convoite ou qu’elles soient restituées à la France.
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