LAURE DE CHATILLON ET L'ALSACE ANNEXEE
Zoé-Laure de Châtillon (1826-1908) est une artiste peintre française de style postromantique. Élève de Léon Cogniet, elle expose au Salon de Paris dès 1848. En 1869, Napoléon III lui commande Jeanne d'Arc vouant ses armes à la vierge.
Au lendemain de la guerre de 1870, elle se fait connaître par une série de scènes patriotiques. Parmi celles-ci, L’Esclave (1875). « Un grand moment d’émotion » écrit Edmond About (Le XIXe siècle, 24 mai 1875). Le voile qui enveloppe la chevelure de la jeune femme enchaînée ne trompe pas les contemporains. Ils y voient une allégorie de l’Alsace perdue.
La jeune femme est-elle particulièrement touchée par le sort réservée à la province ? L’année suivante, elle présente L’option (1876). Ce titre, aujourd’hui, ne joue plus sa fonction informative ; mais la scène représentée ne laisse aucun doute sur le sujet : une famille d’Alsaciens marche sur le chemin de l’exil. Ce sont des optants. Ils ont choisi de quitter l’Alsace annexée. À travers un paysage de moyennes montagnes (les Vosges ?), ils migrent vers la France.
La même année, Laure de Châtillon présente Le sommeil. Un enfant dort. La scène est calme. Mais l’enfant s’est endormi sans s’apprêter. Il n’a pas pris le temps d’enlever ses chaussures ou d’ôter son chapeau. Il est affalé sur une marche de pierre recouverte de mousse. Il s’est plus effondré de fatigue qu’endormi. Que fait-il ainsi, perdu dans la campagne, à l'orée d'un espace forestier qui se devine à l'arrière-plan ? Rapproché de L’option dont Le sommeil est contemporain, la question surgit soudain : est-ce un petit réfugié d’Alsace ? Rien ne permet de le dire, pas même son costume. Le côté très lisse de l’œuvre, très propre de l’enfant, ne conforte pas l’hypothèse. Mais n’est-ce pas le style postromantique de l’artiste, qui habille aussi de propre les personnages de L’option, qui créée cette forme d’incongruité ? Au moment d'oeuvrer, l’artiste a peut-être pensé aux enfants alsaciens alors jetés sur les routes, mais la représentation du seul sommeil l’aura finalement emporté sur toute autre considération ?
Deux autres œuvres de Mme de Châtillon interrogent sur leur rapport à la guerre de 1870 : Salon de la villa ***, à Monte-Carlo, près de Monaco, pendant la guerre [c'est moi qui souligne] réalisé en 1873 et L’année fatale en 1879. Le premier situe le sujet pendant une guerre non précisée. Sans doute l’artiste ne l’a-t-elle pas jugé nécessaire un ou deux ans après celle de 1870. Le second évoque une année non précisée encore mais dont la « fatalité » fait penser à celle reconnue terrible [fatale ?] de 1870-1871. L’absence d’image concernant ces deux tableaux empêche de savoir ce qu’il en est. Mais la carrière de l’artiste et les oeuvres relatives à l’annexion de l’Alsace témoignent qu'elle est sortie marquée de l’épreuve et que la douleur l’a inspirée pendant près d’une décennie, voire au-delà. En 1902, Zoé-Laure de Châtillon présente à l’exposition de l’Union des femmes peintres et sculpteurs, Au revoir !, l'image d'une Alsacienne « qu’on ne demande qu’à revoir » écrit un anonyme dans Le XIXe siècle, journal quotidien politique et littéraire. Le deuil de la province perdue n'est toujours pas accompli !
Pour aller plus loin : Laure de Châtillon