IN MEMORIAN MALIK (Oussekine)
L’expression de l’opinion politique ne s’embarrasse pas de nuances, de vérité moins encore ; mais quand elle déforme la réalité – que ce soit par ignorance ou mauvaise foi – elle discrédite celui qui parle. L’intéressé assumera. Hélas, la cause qu’il prétend servir s’en trouve affaiblie par effet de contamination. La pratique a aussi le tort de masquer des vérités plus scandaleuses, souvent, qu’il s’agisse du meurtre d’un étudiant ou de la mort d’un conscrit sacrifié sur l’autel de la Patrie mise en danger par les caprices, les intérêts ou la mégalomanie des princes de ce monde.
« Gloire à Oussekine » tague le militant échauffé ?
Faut-il faire gloire à l’intéressé comme il fut donné de le faire aux vaincus de 1870 ?
Où est la gloire de ces malheureuses victimes ?
Malik Oussekine n’était pas concerné par les désordres dont il fit les frais. Il ne faisait pas partie des étudiants qui occupaient la Sorbonne en 1986. Son cas relève du dommage collatéral ! Dès lors, quelle gloire attribuer à celui que les militants actifs de l’époque pouvaient considérer comme un planqué, un déserteur ou un traitre, lui qui sortait d’un club de jazz où il avait passé la soirée ? Fait-on gloire à un homme de s’être trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment ?
De fait, Malik Oussekine a été la victime innocente d’un meurtre et sa mort est d’autant plus scandaleuse qu’il n’avait commis aucun acte légitimant un heurt – quelle que soit sa violence – avec des forces de l’ordre. Occulter cette réalité en lui faisant gloire comme s’il était tombé sur le champ de bataille en tant que combattant volontaire revient à lui faire endosser un costume qu’il n’entendait pas vêtir. En d’autres termes, la démarche trahit son identité et sa mémoire.
Les auteurs de l’inscription bombée sur la vitrine d’une banque ont sans doute l’excuse de l’ignorance. Ils ne connaissent probablement Malik Oussekine que par ouï-dire, parce que son nom a été ressorti des archives par des journalistes posant la question du risque d’un dérapage du même ordre lors des manifestations contre la réforme des retraites. Cette excuse oblige à ne pas faire grand cas de ce qui relève du militantisme aussi passionné que simpliste ; elle ne retire rien, pour autant, au tort causé
- au mouvement en cours dont les leaders risquent d’être accusés d’instrumentalisation d’un drame et de présomption de meurtre gratuit envers les forces de l’ordre.
- aux auteurs de l’inscription qui révèle leur ignorance au risque, une fois encore, de favoriser l’amalgame concernant les manifestants tous jugés médiocres et mal instruits.
- à l’histoire qui fait toujours les frais de la manipulation par les acteurs de la vie politique.
- à la mémoire du scandale dont l’ampleur est atténuée par l’idée que Malik Oussekine serait mort pour avoir contesté un projet de loi et non pour un délit de présence innocente dans une rue de Paris.
On ne rend pas gloire aux morts d’être morts, on leur rend hommage ; et quand les raisons de leur disparition sont ignominieuses, leur exposition publique doit être mise au service d’un « plus jamais ça ». A contrario, faire gloire à quiconque d’avoir été victime d’une violence indue reste une manière de les impliquer malgré eux dans le sort qui les a frappé. L’héroïsation des innocents revient à s’approprier leur mort, à les en déposséder à des fins toujours susceptibles de promouvoir une action qui provoquera d’autres scandales similaires.