1872, PARIS SANS SES RUINES
Actuellement (et jusqu’au 16 juillet 2023) se tient au Musée du Luxembourg une exposition consacrée à Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur. Ce message peut tenir d’invitation à s’y rendre pour y découvrir certaines œuvres acquises par ce frère et des informations sur la famille Monet et ses proches. Elle m’arrête aussi dans le cadre de ce blog pour deux œuvres en particulier.
La première, de Claude Monet, est intitulée La méditation ou La méditation de Mme Monet. Elle est datée « vers 1871 ». Sur quoi médite la femme de Monet ? Un souci du moment, sa lecture suspendue, quelque question métaphysique ? Elle seule le sait. Mais, avec son regard perdu dans la lumière de la fenêtre, l’image proposée par le peintre est celle d’une femme plus absente que méditative. Tristesse, chagrin, lassitude, fatigue transparaissent plus que le recueillement d’une personne portée par quelque pensée profonde. Quel problème hante cette jeune personne « vers 1871 » ? L’artiste a-t-il fixé l’expression d’un témoin des violents conflits qui viennent de traumatiser les Français ? Peut-être. Le spectateur restera sur l’hypothèse sans pouvoir en tirer la moindre conclusion.
Le second tableau est de lecture tout aussi discutable, mais il s’inscrit dans une série d’œuvres susceptibles de consolider une hypothèse les concernant. Il s’agit d’un tableau de Renoir intitulée Paris, L’Institut au quai Malaquais. Là encore, c’est sa date de création (1872) qui oblige le spectateur. Renoir propose une vue de Paris au lendemain de la guerre franco-prussienne. Le cadre choisi installe le peintre sur la voie éponyme, là où elle contourne l’aile de l’Institut. Dans l’axe apparaissent le Pont des arts plutôt que celui des Saint-Pères (aujourd'hui du Carrousel) comme indiqué sur le cartel de l'exposition, le beffroi de Saint-Germain l'Auxerrois et un bâtiment imposant qui masque l’Hôtel-de-Ville. Au regard de sa position et de sa couverture grise, il s’agirait du théâtre du Chatelet. Inauguré en 1862, celui-ci fut épargné par les incendies de la Commune (Il rouvrit ses portes dès 1873).
photo contemporaine de l'emplacement approximatif choisi par Renoir
En l’occurrence, Renoir parvient à montrer le centre de Paris sans aucune des ruines qui défigurent encore la ville en 1872. La position adoptée empêche de voir celles de l’Hôtel-de-Ville et du théâtre Lyrique situés derrière le Chatelet, celles du Palais Royal et des Tuileries qui sont plus à gauche, derrière les arbres, et celles du Palais de Justice plus à droite, hors champ. Belle performance ! Les destructions sont absentes de l’image.
Cette absence invite à s’interroger sur la date de réalisation du tableau. S’il est répertorié comme étant de 1872, rien n’interdit de penser que Renoir l’ait conçu avant mai 1871. Cette hypothèse très plausible conduit toutefois à s’étonner des caprices du hasard : celui qui offre à Renoir une rare perspective de la ville épargnée par le drame de l’Année terrible. Or, ce hasard se répète sous son pinceau avec Le Pont-Neuf (1872) et Le Jardin des Tuileries (1875) ou sous la main de Claude Monet pour les mêmes sujets : Le Pont-Neuf (1873) et Le Jardin des Tuileries (versions de 1873 et de 1876).
En d’autres termes, Paris, L’Institut au quai Malaquais conforterait l’idée soutenue par Albert Boime et Philip Nord[1] selon laquelle, scandalisés par les incendies de la Commune, les impressionnistes auraient délibérément effacés ces ruines de leurs vues alors qu’ils les ont eues sous les yeux jusqu’au début des années 1880[2].
Sur ces constats, la question reste entière de savoir dans quel esprit ces artistes ont agi : déni d’une réalité blessante ou action de résilience ?
Pour aller plus loin :