Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mémoire d'Histoire
17 mars 2023

L'IGNORANCE (à la manière de Kundera)

Muge Qi pour TéléramaL’humiliation que les Français ont connu en 1870-1871 les a précipités dans les bras de la nostalgie plus souvent que sur le dos de la révolte. C’est elle, la nostalgie, qui fut le moteur de leur désir de revanche, que celle-ci soit symbolique, par le droit plutôt que par la force ou par les armes.

cover-r4x3w1000-6216675d519d6-nostalgie-douleur« La nostalgie est la souffrance causée par le désir inassouvi de retourner » écrit Milan Kundera (L’ignorance, p.11). Il s’agissait pour eux de retourner aux jours fantasmés de « l’Empire c’est la paix » et de la puissance incarnée par les victoires en Crimée (1856) et en Italie (1859), les richesses étalées lors des expositions universelles (1855 et 1867), les rénovations de Paris par le baron Haussmann (1852-1870). Mais la nostalgie est « comme la souffrance de l’ignorance » (Kundera, p. 12). Elle est ignorance parce que « toutes les prévisions se trompent, c’est l’une des rares certitudes qui a été donnée à l’homme. Mais si elles se trompent, elles disent vrai sur ceux qui les énoncent, non pas sur leur avenir mais sur leur temps présent » (p.18) et la confusion dans laquelle ils se trouvent. Les Français se trompaient sur le prix de la Revanche que la Grande Guerre leur factura autant qu’ils se leurraient sur la grandeur de leur passé. « Le malade souffre de la déformation masochiste de sa mémoire […], il ne se souvient que des situations qui le rendent mécontent de lui-même. Il n’aime pas son enfance » (p.73). Ils n’ont voulu faire mémoire que de la débâcle, de l’autocratie impériale, de l’incapacité des chefs corrompus et ont cru être meilleurs parce qu’ils penseraient toujours à la félicité à venir sans en parler jamais.

Fotolia_111909041_S« Sur l’avenir, tout le monde se trompe. L’homme ne peut être sûr que du moment présent. […Mais] est-il capable de le juger ? Bien sûr que non. Car comment celui qui ne connaît pas l’avenir pourrait-il comprendre le sens du présent ? Si nous ne savons pas vers quel avenir le présent nous mène, comment pourrions-nous dire que ce présent est bon ou mauvais, qu’il mérite notre adhésion, notre méfiance ou notre haine ? » (p.134). Les Français de l’entre-deux-guerres 1871-1914 ne savaient pas où les mènerait leurs rêves de reconquête, de revanche ou de Paix universelle. S’ils avaient su Verdun 1916, Wall Street 1929 ou Auschwitz 1945, ils auraient su que les lendemains ne seraient pas bons. Mais savoir le pire ne rend pas capable non plus de changer de direction. Les transformations de notre planète en font foi.

 

Pour aller plus loin :

Bolzinger, André, "Histoire de la nostalgie", par Josette Zoueïn, Cairn, 2007.

Kundera, Milan, L'ignorance, Paris, Gallimard, 2000.

Heuré, Gilles, Mal du pays. Quand la nostalgie tuait pour de vrai, Télérama. Entretien avec l'historien Thomas Dodman.

 

Publicité
Commentaires
Mémoire d'Histoire
  • Prolongement de mon laboratoire de recherche sur les guerres du second empire (Mexique, guerre de 1870), ce blog se propose de diffuser documents et articles sur le sujet... répondre à toute attente que vous m'exprimerez. N'hésitez pas.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité