Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mémoire d'Histoire
24 janvier 2023

DETOUR SUBLIMINAL DE LA MEMOIRE DE 1870 ?

Le courrier français 1887-02-13 nous l'avons eu le rhin allemandPendant tout l'entre-deux-guerres 1871-1914, la mémoire de 1870 fut l'objet d'instrumentalisations à des fins politiques. Sous la houlette de Paul Déroulède, le mouvement de la Revanche en usa à grands renforts d'articles, chansons, images et autres outils de promotion. Parfois même de façon très subliminale.

Ainsi, dans son numéro du 13 février 1887, Le Courrier Français  publie-t-il un dessin d'Adolphe Willette accompagné de la légende : "Nous l'avons eu, le Rhin allemand", vers extrait du Rhin allemand d'Alfred de Musset. Le poème date du 2 juin 1841. Par la force de ce repère chronologique, la référence à 1870 ne va pas de soi. Elle est pourtant bien présente à l'image. Le contexte est d'ailleurs très porteur.

En effet, en ce début d'année 1887, les relations franco-allemandes sont tendues. On est quelques semaines avant l'affaire Schnaebelé (20 avril) qui va faire la fortune du général Boulanger, futur Général Revanche soutenu par la Ligue des Patriotes de Paul Déroulède qui s'efforce, pour sa part, de mobiliser l'opinion depuis sa création en 1882. 1887 est aussi l'année de la création du Souvenir français. La mémoire de 1870 est donc bien d'actuallité ; elle occupe les esprits.

"Nous l'avons eu, votre Rhin allemand" cite Willette. La formule rappelle que la France ne maîtrise plus le fleuve. Et pour cause : la perte de l'Alsace a chassé les Français de la rive gauche ! Avec une représentation du Grand Condé, d'un soldat de la Révolution, d'un Gaulois et d'un Grognard du 1er Empire, Willette fait renvoi aux époques où la France eut le contrôle du Rhin. Mais c'est surtout la silhouette lointaine de la cathédrâle de Strasbourg d'une part, le cadavre qui flotte dans les eaux du fleuve qui semble avoir les traits de Napoléon III d'autre part, qui renvoient à la mémoire de 1870. Le dessin porte aussi une promesse très implicite inscrite dans un autre vers de Musset, sous réserve que le lecteur en ait le texte sous les yeux ou en mémoire : « Où le père a passé, passera bien l'enfant. » Dans le contexte, ce lecteur ne peut s'y tromper. Willette suggère que la France pourrait bien repasser le plat... ou le verre (pour faire, une fois encore, référence au texte de Musset). Il y a là un appel subliminal à la Revanche qui oblige l'historien. Réalisé par l'auteur de "Sans pardon" (1914) [voir Laurent Bihl, Adolphe Willette ou la propagande par l'outrance], cette instrumentalisation comme vecteur de la germanophobie de l'époque l'invite à redoubler d'attention face aux non-dits des sources. Ils en disent parfois plus que la parole.

 

Mes remerciements à Benoit Vaillot pour l'aide qu'il m'a apporté dans la lecture des détails de cette image.

 

Publicité
Commentaires
Mémoire d'Histoire
  • Prolongement de mon laboratoire de recherche sur les guerres du second empire (Mexique, guerre de 1870), ce blog se propose de diffuser documents et articles sur le sujet... répondre à toute attente que vous m'exprimerez. N'hésitez pas.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité