UNE MEMOIRE ALSACIENNE ET LORRAINE DE 1870
La guerre de 1870 fut l’occasion d’un traumatisme national en France. Au-delà de la défaite, le caractère incompréhensible de celle-ci suivie d’une guerre civile provoqua un choc qui justifia l’appellation d’Année terrible immortalisée par Victor Hugo. Écrivains et artistes rivalisèrent alors de talent pour traduire sur le papier, dans la pierre ou sur les cimaises, la mémoire de l’humiliation collective. La perte de l’Alsace-Lorraine renforça encore la souffrance partagée. Cette punition vécue comme injuste propulsa les deux provinces perdues au rang de figures nationales auxquelles il faudrait penser toujours quitte à n’en parler jamais (Gambetta). La dette contractée auprès des populations annexées obligeait tous les vrais patriotes. Ce devoir national prenait toutefois le risque de déposséder les victimes de leur mémoire personnelle. Il est difficile de faire la part des douleurs et des souvenirs individuels qu’elles génèrent, mais la peinture permet parfois d’en traduire l’expression. Que nous révèlent les œuvres concernant les mémoires alsaciennes et lorraines de la défaite ? Existe-t-il, en la matière, une mémoire spécifique de la guerre ? Si tel est le cas, qu’est-ce qui la distingue d’une mémoire plus nationale ?
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Mémoire de la guerre en Alsace-Lorraine
L’Alsace et la Lorraine furent les premiers espaces d’affrontement franco-allemand de 1870 [...] symboles de la Patrie vaincue mais vite proclamée glorieuse. [...] Au moins soixante-douze tableaux faisant représentation de la guerre, soit près de 14,3 % des œuvres localisables, concernent l’Alsace. Les sièges de Metz (75 tableaux) et de Belfort (10) portent le décompte à un total d’au moins 157 œuvres (31,1 %). [...]
Souvenirs mis en scène par des artistes témoins, reconstitutions d’épisodes de la guerre, hommages plus ou moins personnalisés ou inventions allégoriques, figurations de la bravoure nationale, de la barbarie prussienne ou des victimes innocentes, ces œuvres qui racontent les misères et les actes héroïques de la campagne en Alsace-Lorraine sont d’abord l’expression d’une mémoire nationale. [...] La représentation de la guerre en Alsace-Lorraine ne relève d’aucun monopole régional [...] Les œuvres qui s’imposent sur les cimaises de France à partir du milieu des années 1880 appartiennent plus au corpus de la légende nationale et de la revendication revanchiste que d’une culture régionale propre.
Existe-t-il malgré tout une perception distincte du conflit de la part des Alsaciens-Lorrains ?
[...] dix-huit artistes nés en Alsace auxquels peuvent être ajoutés douze Lorrains, soit un total de trente peintres. Leurs œuvres sont très inspirées par les combats qui ont eu lieu dans leur région d’origine, mais ce choix n’est pas exclusif d’épisodes moins locaux. [...] Là encore, cette approche ne fait pas apparaître une manière spécifique d’aborder le sujet. [...]
Une mémoire spécifique des annexés
Il existe pourtant bien des œuvres qui traduisent plus nettement une perception particulière de la guerre par des artistes alsaciens ou lorrains. Mais, plus que de la guerre, celle-ci met l’accent sur ses conséquences et elle peut se résumer par deux mots clés : l’attente et l’occupation.
L’attente est incarnée par le tableau référence de Jean-Jacques Henner : L’Alsace. Elle attend (1871). Tout est dit dans le titre. [...] L’analyse d’autres œuvres d’Alsaciens et de Lorrains permet de la conforter. [...]
La mémoire des annexés puise aussi son inspiration dans l’occupation. Cette particularité spécifique supplante la mémoire de la guerre elle-même. Deux artistes l’incarnent tout particulièrement : Alfred Bettannier d’une part, Jean-Jacques Waltz, alias Hansi, d’autre part. [...] Derrière ces deux figures emblématiques de la mémoire des provinces perdues, d’autres artistes moins connus entretiennent celle-ci et confirment l’existence de cette « mémoire de résistance passive ». Citons à titre d’exemples les cas de Gustave Adolphe Brion [...] Camille Pabst ou Benjamin Netter [...]
Si la mémoire de la guerre en Alsace-Lorraine est un thème qui a inspiré des artistes venus de tous les horizons, y compris de l’étranger comme le britannique James Walker, en marge de celle-ci il existe bien une mémoire alsacienne et lorraine spécifique. C’est une mémoire centrée sur l’attente et la réparation. Cette dernière s’est pérennisée jusqu’en 1919 alors que le souvenir de la défaite s’effaçait lentement avec la génération née après la guerre. Elle est surtout restée distincte de la mémoire française. Le 13 février 1904, dans La Caricature, un dessin traduisait aussi le risque d’une attente trop longue : « Décidément, depuis le temps que l’on dit que j’attends, je dois être ankylosée » dit l’Alsacienne sous le titre explicite Le souvenir prolongé devient de l’oubli. Deux ans plus tard, Jean-Joseph Weerts (qui n’est ni Alsacien ni Lorrain) a traduit avec France ! ou l’Alsace et la Lorraine désespérées(1906) ce sentiment d’attente de plus en plus impatiente.
Il reste à savoir si cette mémoire spécifique telle qu’elle s’exprime sur les cimaises est confirmée (ou non) par d’autres types de sources.
PS : 02/10/2023 :
Ce chant patriotique composé en 1872 par A Despagne et le docteur Locoste intitulé "Attendez-nous" se pose comme une véritable réponse à l'Alsacienne de Jean-Jacques Henner, Elle attend. Le texte du premier couplet est des plus clair et conforme à la conviction la mieux partagée du moment : "L'heure de la vengeance approche" [les contemporains l'évaluaient à dans les deux ans après la capitulation], "Courage, soeur, attendez-nous" [L'Alsace attend], "Par la trahison enchaînées au char du vainqueur" [la France n'a pas démérité, elle a été trahie]... "Car la France veut sa revanche" (3e couplet).