C'EST LA GUERRE (AUDOIN-ROUZEAU)
"La lettre d'un homme décrivant à sa femme ce qu'il reste de leur maison après qu'elle fut rasée par l'artillerie allemande ; la canne sculptée par le Poilu Claude Burloux dans la boue d'une tranchée ; le combat de la veuve Maupas pour la réhabilitation de son mari ou encore la présence de la délégation des gueules cassées à Versailles en 1919 sont autant de "petits sujets sur la violence du fait guerrier".
Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d'études à l'EHESS et président du Centre International de recherche de l'Historial de la Grande Guerre, aime cette micro-histoire, le temps court (le plus court possible parfois), l'incident (souvent minuscule), l'objet isolé ou l'image unique, et finalement l'acteur social dans sa singularité irréductible. "L'activité guerrière constitue un sujet d'une telle ampleur, d'une telle richesse, d'une telle capacité de transformation que mieux vaut peut-être renoncer à la saisir tout entière pour ne s'attacher, après tout, qu'à quelques-unes de ses anfractuosités.
C'est le pari de ce livre, soucieux de rester au plus près des contemporains de la guerre, de leurs pratiques, de leur corps, des objets qu'ils ont fabriqués et tenus dans leurs mains. Au plus près possible, en tout cas."
Recueil d'articles, ce livre offre matière à réflexion sur la violence de guerre et le vécu de celle-ci par les combattants de base. La Grande Guerre y occupe une place importante en correlation avec le corps principal des recherches de Stéphane Audoin-Rouzeau. Il renvoie aussi à d'autres conflits, jetant des ponts entre les uns et les autres en permettant de dégager des observations communes aux uns et aux autres. "Comparaison n'est pas raison", bien sûr ; mais l'expérience des uns permet parfois de mieux appréhender celle des autres, surtout quand le rapprochement permet de mettre en évidence les différences qui font la particularité de chaque cas. A ces titres, il y a moyen de tirer le meilleur de cette compilation.
L'historien de 1870 y trouvera deux textes, placés au début d'ouvrage.
"Un vécu de terreur, la bataille de Saint-Quentin, le 19 janvier 1871" (p. 13-26) qui date de 2000.
"Ernest Lavisse et l'invasion dans le département de l'Aisne, 1872" (p. 27-37).
Ce deuxième texte est une analyse des souvenirs de la guerre publiés par Lavisse en 1872. Il permet de cerner l'impact de l'invasion sur l'esprit d'un homme qui allait tant influencer la jeunesse de son époque par ses programmes d'histoire de France et sa volonté de transmettre le sentiment de patriotisme. Au delà du caractère biographique, l'article est un élément intéressant pour comprendre la construction de la mémoire nationale, au moins dans sa version officielle.
Le premier texte est plus centré sur la violence de guerre telle qu'elle peut ressortir des récits de témoignages. Audoin-Rouzeau montre comment cette violence influe sur le comportement des hommes plongés dans les affres du combat, ses incertitudes, les peurs qu'il génère, loin des belles considérations stratégiques du commandement. Un travail qui s'efforce de comprendre les mécanismes de la psychologie individuelle ou collective sur le terrain. L'auteur n'hésite pas à utiliser des observations faites sur les combattants de 1914 - celles notamment du médecin-général Crocq - pour mieux comprendre les mouvements de panique des combattants de 1870. Il fait aussi quelques remarques toujours bienvenues sur la manière dont les témoins racontent leur expérience, observations qui montrent - une fois encore - que l'information transmise en 1871, 1875 ou 1879 par un témoin vaut plus pour comprendre la mémoire de l'évènement un, cinq ou dix ans après que pour la réalité qui s'est joué au temps T du récit.