S'INSURGER POUR LA PATRIE (Fabien Conord)
Petit livre discret, peu épais, mais qui mérite l’attention pour tous ceux qui s’intéressent à l’Année terrible, à la guerre de 1870, à son prolongement insurrectionnel de 1871 et à tout ce qui peut faire mémoire de ces deux crises étroitement imbriquées. En trois chapitres, Fabien Conord analyse les insurrections qui marquent le conflit franco-allemand à des moments clés, celui qui fait suite à la capitulation de Metz (chapitre 1) et celui du 22 janvier 1871 après la tentative de sortie de Buzenval (chapitre 3).
Premier intérêt de l’ouvrage : par la mise en parallèle de ce qui se passe au même moment ou pour les mêmes raisons à Paris et à Dijon, Fabien Conord invite le lecteur à sortir de la vision très parisiano-centrée qui préside trop souvent aux études relatives à la guerre de 1870 et à ses prolongations communardes. Au-delà du rappel des évènements et de leurs conséquences, il dessine le profil des acteurs (« anonymes et militants »), leurs motivations et références (chapitre 2) et la mémoire qu’ils ont nourrie. Ainsi isolée de l’insurrection avortée du 31 octobre dans ses effets parisiens et (via l’exemple de Dijon) régionaux, l'approche aide à comprendre les peurs qu’elle a suscitées et comment celles-ci ont pu préparer le déchaînement de violence de la semaine sanglante.
L’étude mériterait sans doute d’être approfondie, mais les conclusions qu’en tire l’auteur rendent à la guerre de 1870 ce rôle de matrice historique que la recherche actuelle remet si bien en lumière. Trois idées fortes ressortent au final.
1/ Les insurrections d’octobre 1870 : la patrie avant la Révolution énonce Fabien Conord (p. 47). L’observation témoigne du patriotisme bien partagé par les Français de 1870, réalité qui a été occultée, oubliée ou effacée quand « la trahison des rouges » (accusation formulée pendant la guerre elle-même) a permis de justifier la défaite et les horreurs d’une révolution noyautée par des étrangers apatrides, accusations qui oubliaient bien vite que les insurgés du 18 mars se justifiaient eux-mêmes par le refus de la capitulation et la poursuite de la guerre à outrance contre les Prussiens, que sont armée fut un temps dirigée par Rossel, officier évadé de Metz parce qu’il voulait poursuivre le combat abandonné par ses chefs, et que ses héroïnes telles Louise Michel et André Léo avaient proposé de s’engager comme soldat pour libérer les hommes des factions aux remparts afin que ceux-ci puissent mieux combattre ; oubli aussi que c’est le sacrifice inutile des gardes nationaux le 19 janvier à Buzenval qui provoqua « l’insurrection du désespoir » (p. 54) du 22.
2/ La Patrie invincible. La conviction est si bien partagée en France qu’elle explique l'entêtement assez général à poursuivre une guerre perdue dès septembre. Elle est dans la plupart des témoignages de soldats et de civils, entretenant l’idée que le miracle de 1792 ne pouvait que se répéter. Quand la Patrie est défendue par les citoyens, elle ne peut pas être vaincue. Fatale erreur au regard de la RealPolitik dont ne se nourrit pas le fantasme patriotique. Il explique bien, en revanche, comment l’irrationnel peut guider les esprits.
3/ "Guerre extérieure" et "guerre intérieure" sont étroitement liées et on ne peut les séparer comme l’historiographie s’y est trop souvent employée. Fabien Conord ne le dit pas en ces termes empruntés aux témoignages de l’époque. Mais c’est bien ce dont se félicite implicitement Quentin Deluermoz quand il annonce que son étude commencera « comme cela est devenu courant pour l’étude de la Commune, avec la guerre franco-prussienne et la transition républicaine » (in Commune(s). 1870-1871, Paris 2020 ; p. 30). Trop souvent, en effet, l’historiographie se fixe sur un des deux conflits ou « deux sièges », au point de sous-estimer parfois les liens qui les unissent comme le faisait Victor Hugo dans L’année terrible, texte qui court de juillet 1870 à juin 1871 et non dans les limites strictes d'un millésime. Ce lien renvoie à une approche globale à laquelle invitent avec pertinence Nicolas Bourguignat et Gilles Vogt.
En 90 pages et 3 chapitres [Formes et visages ; Motivations et références ; Répliques et rebonds], voilà un petit ouvrage efficace, rapide à lire et bien inscrit dans la veine du renouveau de la recherche sur la question abordée.