"L'HORRIBLE", LA GUERRE TELLE QU'ELLE EST
Après l'humiliation de la défaite, les années 1870 ont été celles du "recueillement" selon le terme de l'époque. C'est d'abord le temps du deuil (érection des premiers monuments aux morts), de l'introspection, puis d'une progressive résilience bâtie sur l'image de la Gloire aux vaincus incarnée par l'oeuvre éponyme d'Antonin Mercié. Ces années s'achèvent par le triomphe des Républicains sur leurs concurrents monarchistes ou bonapartistes.
En 1880, le retour à une certaine normalité post-traumatique se traduit par l'émergence d'une nouvelle bataille : celle des mémoires de la guerre. Au processus de résilience qui a permis aux Français de transformer la honte de la défaite en gloire, fait suite une reprise des affaires courantes en marge desquelles s'ouvre le débat sur la revanche à prendre sur l'Allemagne, projet que l'affaire Schnaebelé (1887) et la crise Boulangiste alimentent. Portée par la Ligue des Patriotes (1882) de Paul Déroulède, s'affirme une mémoire revisitée de la guerre, une mémoire qui, à part "quelques brebis galeuses", fait de tous les Français de 1870 des patriotes et exprime le désir d'une nécessaire guerre de reconquête des provinces perdues. Cette mémoire qui "héroïse" les vaincus et déréalise la guerre pour n'en montrer que ce qu'elle a de beau (voir les propos de Jules Richard en 1887), mobilise contre elle une mémoire moins complaisante qui entend entretenir le souvenir de la guerre "telle qu'elle est". A cette fin, les écrivains des Soirées de Médan (Maupassant, Zola, Huysmans, Céard, Hennique et Alexis) publient six nouvelles (1880) qui s'emploient à dire l’absurdité et l’hypocrisie (Boule de suif, tout particulièrement) de la guerre. Mais ce travail ne suffit pas et Maupassant multiplie les récits du genre : Mlle Fifi en 1882 ou Le lit 29 en 1884, par exemple. Cette même année de 1884, il va plus loin encore, dans les colonnes de Le Gaulois. Il y publie un texte un peu oublié et intégré quelques années plus tard, en 1900, dans Le colporteur : L'horrible. Dans ce texte, il abandonne la voie de la fiction pour raconter à travers "deux exemples personnels [...] ce qu'on peut entendre par l'Horreur."
Les deux récits sont des témoignages tirés de son expérience de la retraite vécue en Normandie en 1870. Il y parle de la souffrance, de la barbarie, des folies collectives et des expériences individuelles telles qu'elles se déclinent en marge des grandes manoeuvres qui font les belles pages d'histoire. Au-delà des anecdotes, leur publication dans la presse au mitan des années 1880 est aussi une marque de la bataille des mémoires qui oppose les survivants de la débâcle.
Pour lire le texte de Maupassant, cliquez sur un des liens suivants : « L’horrible », Le Gaulois, 18 mai 1884