LES SOUVENIRS D'UN PEINTRE : G. Clairin
Les recueils de souvenirs sont une source historiographique qui soulèvent bien des questions concernant leur contenu. Que reste-t-il de l’expérience vécue, par exemple, dans le récit soumis aux lecteurs ? Qu’oublie le témoin et que choisit-il de préserver au prix, souvent, de reformulations ? De fait, trop de paramètres incontrôlés gouvernent l’enregistrement des souvenirs, leur restitution et leur ordonnancement en un texte construit [...] Que dire, alors, d’un témoignage recueilli par un tiers dont la présence influe encore sur le discours[...] ? Ecrits par André Beaunier, Les souvenirs d’un peintre [Georges Clairin, en l'occurrence] est un exemple de ces récits dont l’analyse est d’autant plus difficile que l’auteur du texte est pluriel. Non seulement le narrateur n’est pas le rédacteur, mais il se veut porteur de la mémoire d'Henri Regnault. Dès lors, de qui sont les souvenirs proposés ? Et quels enseignements tirer d’une telle composition ?
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Les multiples voix d'un récit
Les souvenirs d'un peintre est d'abord un récit oral, le fruit de conversations entre Clairin et Beaunier illustrées de croquis réalisés dans le passé par le premier. Il est le résultat d'une sélection imposée par le naturel processus d’oubli d’une part ; par le tri que le témoin opère entre ce qu’il estime important ou non d’autre part. Dans le cas présent, ce tri est renforcé par le souhait de Clairin que le récit mis en pages par Beaunier soit lu comme « les mémoires de mes amis, et les mémoires de Regnault surtout » [...]
André Beaunier retranscrit les souvenirs qui lui sont confiés dans un style qui est le sien. Clairin le dit : « Ce volume, qui est de vous… ». Pour lui, le texte est d’abord le travail de son rédacteur. [...] Clairin brode-t-il ? Est-ce Beaunier qui le fait par souci d’embellir « les fleurs fanées » que sont les souvenirs de Clairin selon les dires de celui-ci ? [...] Est-ce encore le témoignage de Clairin qui est donné à lire ou une biographie ?
La ou les dernières cartouches de Regnault ?
L'exemple du masque funéraire de Regnault : initiative de Clairin ou Barrias ?
Quelques pièges du récit
Si le récit respecte globalement la chronologie, dans le détail, la liberté du narrateur l’amène à faire des allers-retours dans le temps. [...] À ce désordre chronologique difficile à rétablir s’ajoute un phénomène de compression temporelle quand les épisodes s’enchaînent sans que le lecteur ne puisse connaître la durée existante entre chacun d’eux [...] [cette compression] ne permet pas de connaître la « chaîne des émotions », celle qui lie entre eux chaque moment, la manière dont les sentiments et les changements qui les affectent se succèdent, donc se nourrissent ou pas, s’amplifient mutuellement ou non. [...] C’est toute la concordance des temps qui s’en trouve bousculée [...]
Exemples de la perte de confiance des Prussiens et des opinions fondues des Parisiens.
La prophétie de M. Smith.
Le Tout Paris à Versailles.
Le consentement à la victoire annoncée
[...] comment l’acceptation de la guerre par des hommes qui ne la voulaient pas a en partie reposé sur un malentendu concernant sa nature d’une part, la certitude qu’elle serait courte et victorieuse d’autre part.
[...] Une guerre insuffisamment maudite et la mort de Regnault.
Le poids de l'imaginaire dans la reconstruction mémorielle
Le va-et-vient entre les différents temps qu’entretiennent tous les récits de souvenirs se nourrit d’imaginaires antérieurs à l’événement de référence. Cet imaginaire se renforce ou consolide à la faveur de ce qui est vécu et par l’interprétation que le témoin en fait aux différentes époques qu’il traverse ensuite ; il n’est pas une donnée fixe, acquise à un moment donné et identifiable comme peut l’être une caractéristique physique. [...]
Plus le temps passe, plus le risque de déformation s’amplifie. Ce dernier n’est pas, pour autant, une fatalité. Tout dépend de la manière dont le texte est abordé. [...]
Que reste-t-il de 1870 en 1906 dans l’esprit d’un vétéran, artiste peintre de profession, peu enclin à aimer la guerre mais marqué à vie par l’irréparable perte d’un ami ? L’analyse des Souvenirs d’un peintre ne permet de répondre que pour le cas particulier ; mais, confronté aux souvenirs de guerre d’autres Français, elle aide à mesurer l’importance de l’esprit de revanche et ses limites.[...]
« Cela m’étonne, aujourd’hui, de relire cette phrase écrite par moi. Je la trouve un peu féroce… Que voulez-vous ? Nous étions à bout de patience, à bout de nerfs ». Cette autoanalyse confirme l’idée d’une différence entre la réalité vécue et le souvenir. Entre le ressenti dans le feu de l’action et les sentiments entretenus des années plus tard, le travail prospectif de la mémoire a fait son œuvre.[...]
Bibliographie
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Informations sur les photos, dans l'ordre de leur apparition :
1/ Dessin de G. Clairin : Regnault et monsieur X à Nanterre, 18 janvier 1871.
2/ Dessin d'Alexandre Bida : Le peintre Georges Clairin en uniforme de garde national.
3/ Moulage attribué à Barrias : Le masque funéraire d'Henri Regnault.
4/ Dessin de Georges Clairin : Aux avant-postes à Argenteuil, 1871.
5/ Aquarelle d'Henri Reganult : Au harem (1871).
6/ Dessin de Georges Clairin : Aux avant-postes, Argenteuil 1871.