FRATERNISATIONS FRANCO-ALLEMANDES EN 1870 ?
Sous le titre générique "Fraternisations franco-allemandes en temps de guerre [...] 1799-1945", le numéro 16 publié par Franz Steiner Verlag contient deux articles sur la guerre de 1870 qui méritent toute l'attention des chercheurs travaillant sur le conflit franco-prussien.
Sous le titre « Quels échanges pacifiques entre Français et Allemands en 1870-1873 ? » (p. 25-41), Christophe Pommier observe que, guerre courte, de mouvements et de sièges, la guerre de 1870 ne présente pas de cas de fraternisations entre soldats des deux camps. Les tentatives républicaines d'appels aux Allemands (Hugo, Courbet, Quinet ou Bonvalet, notamment cités) pour renouer des liens pacifiques échouent. L'occupation d'une partie du territoire jusqu'en 1873 impose toutefois une cohabitation entre militaires allemands et civils français qui produit, au fil du temps, un apaisement des relations, voire des situations "d'entente cordiale entre une partie de la population et l'ennemi". C'est certainement là que se situe la partie la plus intéressante de l'article, d'autant plus qu'il déborde les limites strictes du conflit en décrivant ce qui se passe après la guerre. Christophe Pommier confirme ici le caractère non systématiquement hostile des relations entre populations des deux pays telles qu'elles apparaissent dans de nombreux témoignages de civils ou de prisonniers de guerre. La différenciation que font les Français entre les "différentes composantes régionales de l'Allemagne" ou entre officiers et simples soldats est nette ; et, bien que le fait ne soit pas majoritaire, l'analyse conduit l'auteur à conclure que "malgré l’accent porté par les deux camps sur la barbarie de l’autre, il a existé des ententes entre Français et Allemands en 1870-1873".
Le second article est signé Odile Roynette sous le titre "Les visages pluriels de la captivité française en Allemagne" (p. 117-131). Ce texte a servi de base pour l'article sur le même sujet paru dans le numéro de L'histoire de mars 2020. A travers le rappel des conditions d'internement des soldats massivement capturés pendant le conflit, Odile Roynette observe la complexité et variété des situations qui rendent impossible toute généralisation. Elle aboutit aux mêmes constats que Christophe Pommier sur l'ambivalence des sentiments d'une part, sur la mise en place d'un intense sentiment d’humiliation qui, pour autant, "ne conduit pas au rejet unanime de la population".
L'étude des témoignages de la guerre le montre, ces deux articles le confirment : la guerre de 1870 a ravivé et nourri l'hostilité réciproque des deux peuples, chacun reprochant à l'autre sa barbarie ; mais ces sentiments partagés et entretenus par les mémoires collectives reflètent moins la complexe réalité de ce qui a été vécu que la manière très réductrice dont chacun fait mémoire de son expérience.