LA MEMOIRE DE 1870 VUE SUR VERRE
A la fin du XIXème siècle, des « vues sur verre » furent proposées aux enseignants pour illustrer leurs cours. Le musée de l’éducation de Rouen en détient une importante collection. A une requête spécifique réalisée fin décembre 2019, le moteur de recherche de son site propose 26 172 réponses. Ces documents sont essentiellement conçus pour des classes supérieures et supposent un équipement qui n’était pas présent dans toutes les écoles. Il est difficile de s’appuyer sur eux pour en tirer des informations sûres concernant l’enseignement de l’époque à l’échelle nationale. Dans la mesure où plusieurs séries sont consacrées à la guerre franco-prussienne, il est toutefois possible d’avancer quelques remarques.
182 diapositives sur la guerre de 1870
En 1898, trois séries de clichés photographiques sur la guerre de 1870 ont été créées pour un total de soixante-quinze diapositives. Elles découpent l’événement en trois temps : I- L’armée du Rhin (24 images), II- Le siège de Paris (26) et III- La guerre en province (25). Deux ans plus tard (1900), un nouveau lot de soixante-quinze diapositives fut encore produit. Distribuées entre quatre « parties », les clichés ne répondent à aucun ordre particulier, ni géographique, ni chronologique, comme si les concepteurs avaient voulu compléter les séries de 1898 sans imposer la moindre orientation aux utilisateurs. Une dernière série fut créée en 1911. Présentée sous le titre « Les héros de 1870 », elle comprend vingt-cinq images. Sept clichés (au moins) intégrés à d’autres séries portent encore sur la période : deux sur le thème du Palais-Bourbon créé en 1911, deux en 1917 dans un lot intitulé « L’Alsace reconquise » et trois dans « L’Alsace historique » de 1921. Au total, les enseignants du début du XXe siècle disposaient de 182 images au moins évoquant la guerre franco-prussienne.
Un matériel pédagogique ambivalent
Ce matériel est riche en contenus. Il propose des cartes de villes ou de batailles, des photographies de responsables politiques et militaires ou de personnages s’étant illustrés pendant la guerre, des photographies de positions militaires ou de ruines après bombardement, quelques rares documents et de nombreuses reproductions d’œuvres d’art, principalement de tableaux des grands maîtres de la peinture militaire (30 des 75 diapositives de 1898, 15 dans la série de 1900 et 14 dans celle de 1911), quelques sculptures et des monuments aux morts (voir la liste de ces clichés en suivant le lien ci-contre : 1870_sur_verre).
Très complètes, ces séries permettent d’organiser un cours sur la guerre et d’en illustrer les principaux épisodes. Le recours à des œuvres de peinture militaire pour les batailles n’a rien de surprenant : pour l’époque, ces images proposaient sans doute le meilleur outil pour donner un aperçu des combats.
Les personnages de ces séries sont français. La première série de 1898 propose toutefois les portraits de Guillaume de Prusse, Bismarck et de Moltke. Garibaldi figure dans la série de 1900. Napoléon III, en revanche, n’apparaît nulle part, ni en portrait ni dans le cadre d’une représentation qui rappellerait une anecdote le concernant. Cette absence interpelle et en révèle vite d’autres de même nature : Bazaine n’est évoqué qu’indirectement, à travers une image de son procès ; Palikao (chef du gouvernement de l’Empereur), Le Bœuf (ministre de la guerre), de Failly (responsable de la défaite de Beaumont qui précipite celle de Sedan), Frossard (vaincu à Forbach), tous les officiers supérieurs bloqués dans Metz (Ladmirault, Canrobert, Changarnier…etc.) et les rares qui désapprouvèrent la capitulation ne sont au générique. Seuls les officiers morts au combat comme de Sonis, Douai ou Raoult, et ceux qui combattirent sous la bannière de la République tels Chanzy, Faidherbe ou Denfert-Rochereau, sont représentés. En 1900, la guerre de 1870 est d’abord celle de la République et l’image donnée des Français est celle de glorieux vaincus. Cette approche est renforcée par le choix qui préside à la réalisation de la série de 1911. Cette fois, l’intention n’est plus de donner matière à illustrer une leçon historique mais bien de rendre hommage à ceux qui sont morts (que ce soit sept militaires au combat ou sept civils) et à ceux qui firent preuve d’initiative et de ruse (Juliette Dodu et le sergent Hoff). Quatorze reproductions de tableaux évoquent des combats et des comportements héroïques posés comme modèles de patriotisme, que ce soit, une fois encore, des combattants (les hommes de la maison Bougerie à Bazeilles, le sergent Tanviray ou d’anonymes frères d’armes) ou des civils (le porteur de dépêches, les actrices de la comédie française, des otages). La série s’achève par une photographie de Quand même !, sculpture d’Antonin Mercié offerte à la ville de Belfort en 1878 et exprimant l’impatience d’une réaction patriotique contre l’ennemi. A trois ans du déclenchement de la Grande guerre, ce changement de ton témoigne d’une ambiance nouvelle.
Une ambition pédagogique au service d’une mémoire nationale
Original dans son support, ces « vues sur verre » reflètent l’ambition pédagogique de l’époque, ambition que ne renieraient pas les enseignants du XXIe siècle. Aux curieux d’aujourd’hui, elles donnent aussi à découvrir quelques documents devenus rares : des photos de personnages aujourd’hui oubliés comme le duc de Luynes, mort à Loigny, ou Augustin Pouyer-Quertier, un industriel de Rouen qui participa aux négociations du traité de Francfort ; deux photos de vétérans de 1870 (voir ci-dessous) ; des reproductions de tableaux dont les originaux sont difficiles à trouver : Alerte sous Paris de Franck Cinot, Le guide de Walker, L’embuscade et Le prisonnier de Berne-Bellecour, A Buzenval de Grolleron, Sous le feu de Lucien Sergent...
Ce matériel fait état d’une mémoire vivante de 1870 trente ans après la défaite ; d’une mémoire, surtout, soucieuse de gommer du passé tout ce qui pouvait déranger en France : l’humiliation de la défaite, les petites et grandes lâchetés, les erreurs politiques et militaires, etc. Par contre, le revanchisme en reste totalement absent, sauf à considérer la série de 1911 comme un appel subliminal à la vengeance, ce qui ne s’impose pas d’emblée ! Toute la question reste de savoir jusqu’à quel point cette façon de voir était partagée. La connaissance historique ne plaide pas en ce sens ni les anciens combattants de l’époque qui se plaignaient précisément de l’oubli de leur sacrifice. La reconnaissance de celui-ci sous la forme d’une médaille militaire ne leur fut d’ailleurs accordée qu’en 1911. Une étude plus poussée justifierait sans doute leur indignation et pourrait, peut-être, consolider ces quelques remarques.
Sources :
Collections du Musée national de l'éducation de Rouen.
Liste des clichés classés par série : 1870_sur_verre
Photos des vétérans de 1870, tirées de la série de 1917