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Mémoire d'Histoire
11 juillet 2019

SAINT-CLOUD VICTIME DE L'ANNEE TERRIBLE

En 2013, Olivier Berger rédigeait le compte-rendu d'une exposition sur Saint-Cloud au musée des Avelines. Si celle-ci n'est plus d'actualité, le texte de présentation conserve tout son intérêt factuel sur les violences et destructions qui affectèrent la commune et son château (paragraphes 3 et 4 ci-dessous) lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Il nous donne aussi l'occasion de faire référence au gisant de la Commune d'Ernest Pignon-Ernest réalisé pour le centenaire de la semaine sanglante. Merci à l'auteur de nous confier son texte pour diffusion.

1870-1871 Saint-Cloud, L’année terrible

Incendie du chateau de Saint-Cloud 1870Dans la perspective des 140 ans de la guerre de 1870-71 et de la Commune, un nouvel intérêt est né pour des événements longtemps oubliés, masqués par les violences guerrières du XXe siècle. A l’occasion du récolement de ses collections, avec le concours des archives municipales et de quelques collectionneurs, la ville de Saint-Cloud a organisé une exposition en son Musée des Avelines, ouvert à tous.

A travers l’ensemble des salles, un parcours est proposé au visiteur qui présente l’histoire de la ville, inséparable de son domaine et du château disparu, représenté en maquette, des photos et objets du Second Empire évoquent le séjour de la Saint-Cloud, ruines de 1870famille impériale dans une ville devenue lieu de villégiature pour une partie des Parisiens, grâce à l’arrivée du chemin de fer et la proximité de Paris, visible des coteaux. Le drame de la guerre puis de l’invasion de septembre 1870, suivie d’une occupation intermittente avant l’armistice de janvier 1871, frappe les Clodoaldiens. Ceux-ci sont pris entre deux feux, entre les Allemands qui patrouillent et des soldats français venant occasionnellement faire le coup de feu.

Blancard, Place d'armes février 1871Dans ces conditions, les tirs français du Mont-Valérien frappent le château, lequel prend feu le 13 octobre. Cette destruction marque les esprits. Avec le temps, la responsabilité que chaque belligérant se renvoyait semble rétablie : si l’obus fatal est français, la décision de non-intervention contre l’incendie est allemande (mais l’armée allemande avait-elle les moyens d’éteindre un tel incendie ?). Bien entendu, le pillage du château avait commencé avant, de même que les maisons alentour, suite à l’évacuation de la ville comme d’autres communes de la petite couronne. Caves et mobilier sont pillés par des soldats cherchant des vivres, des cachettes sont découvertes, certains allant jusqu’à vendre aux enchères le bien des rapines, avec l’accord de certains officiers. Le régisseur du château ne peut que constater les dégâts, à son retour, alors que le parc est habité par les soldats allemands. Des maraudeurs autochtones viendront ajouter de la destruction aux ruines qui sont conservées jusqu’en 1892, après quoi la République fait table rase du passé, en abattant ce qui restait d’une demeure où se joua l’Histoire. Nombreuses sont les photos et gravures de presse réalisées à l’époque qui sont exposées, toutes issues des fonds patrimoniaux.

dessin de Pierdon et d'AndrieuxOn allait oublier l’essentiel : l’incendie de la ville, en plein armistice, par l’occupant, présenté dans une autre salle, avec des objets sauvés de l’incendie, récupérés ou vendus après guerre, comme des bouteilles tordues, de la vaisselle, même une plaque de cheminée issue du château. Alors que l’état de guerre, suspendu par l’armistice, ne permettait plus de poursuivre des actes hostiles, les Allemands enduisent systématiquement les maisons de pétrole, y entassent de la paille aspergée d’alcool, avant de mettre le feu à toutes les maisons de la ville, près de 600 disparaissent, 30 subsistent (selon un rapport du maire). Les photographes n’hésitent pas à se rendre sur les lieux de cette « Pompéi de la destruction », pour paraphraser Théophile Gautier dans ses Tableaux de siège, et immortalisent la belle ruine. Ils sont à l’origine d’un intérêt pour Saint-Cloud, que les touristes viennent alors visiter, la presse se fait l’écho des souffrances des habitants démunis. Le musée montre des lettres de sinistrés, de visiteurs souhaitant apporter leur soutien, des pétitions d’habitants au maire afin de recevoir des indemnités à la hauteur du préjudice, ainsi que les gravures vendues au profit des sinistrés. Les séries de vues de la ville détruite connaissent nombre de rééditions jusque vers 1900-1910, dont la place d’armes avec l’Hôtel de la Tête noire, ou les coteaux depuis le pont, figurent parmi les clichés les plus célèbres. Nombreuses sont les cartes postales reprenant les photos de Liebert, Maindron, Pierdon, Disderi. Deux jours de feu laissent des maisons éventrées, des rues obstruées, des poutres tordues, des cheminées debout dans le vide, des lits suspendus en l’air à des restes de planchers, images auxquelles les guerres jusqu’à une période récente, nous ont malheureusement habitués.

Blancard, graffiti sur voletUne curiosité notée par les témoins est une paire de volets récupérée d’une maison et confiée au musée. Elle porte une inscription en allemand, disant que la maison doit être épargnée jusqu’à nouvel ordre, et signée par Jacobi, major à l’Etat-major général. Le fait est que les habitants, occupant la maison en l’absence de son propriétaire, avaient sympathisé avec cet officier polonais catholique, souvent bienveillant avec les Français comme nombre de Polonais enrôlés dans l’armée prussienne, et celui-ci avait imposé une « protection ». Cette anecdote mérite d’être relevée, d’autant plus que le marquage au charbon est bien conservé, sous plaque de verre. La fin de l’exposition est consacrée à la sortie de guerre, avec la question de l’indemnisation. Un temps favorables à une réparation lors de la conférence de Bruxelles, les autorités allemandes profitent de l’éclatement de la Commune pour reculer. La ville ne reçoit de l’Etat que 10 % de ses pertes contre 14 % pour des communes ayant moins souffert, à la grande déception du maire, luttant contre la lenteur des pouvoirs publics. Des sociétés chapeautées par la mairie accordent des crédits, les notables organisent la charité comme c’était souvent l’usage à cette époque, Saint-Cloud se reconstruit aisément malgré le traumatisme, pour redevenir une ville dynamique, profondément transformée depuis les années 1970.

Pignon-Ernest, Le gisant 1971Pour terminer, l’escalier sous la rotonde centrale reproduit une œuvre contemporaine d’Ernest Pignon-Ernest, sérigraphie à partir d’une image de gisant de la Commune, destinée à interpeller le visiteur sur le combat universel de l’homme pour ses idées politiques. Après le centenaire des événements, cette œuvre éphémère a été conservée par le hasard d’un photographe, le gisant multiplié sur des rouleaux de papier est étendu sur les marches du Sacré-Cœur. Ici, le Musée des Avelines a voulu faire la même démarche en insérant l’image sur ses marches, comme une mise en abyme. Des ateliers et conférences complètent l’exploitation du sujet.

Cette excellente exposition est l’occasion de voir un rassemblement de photographies, de journaux et livres rares, d’objets rescapés, de tableaux de la guerre, d’archives anciennes trop peu connues, alors que la recherche a tendance à négliger encore l’histoire locale. L’incendie de Saint-Cloud, complètement oublié, était pour ses contemporains le témoignage d’une « barbarie allemande », bien avant les destructions massives des villages en 1914-1918, avant Oradour et les ravages nazis sur le front de l’Est.

saint-cloud, souvenir de l'année terrible

Saint-Cloud, Souvenir de l'année terrible. Collection privée de M. Olivier Berger (c)

Olivier Berger, historien diplômé de Paris-Sorbonne, thèse (inachevée) sur les violences de la guerre franco-prussienne.

Exposition-dossier au Musée des Avelines : 1870-1871 Saint-Cloud, L’année terrible, 31 janvier-24 mars 2013, et Collectif, 1870-1871 Saint-Cloud, L’année terrible, catalogue de l’exposition, Saint-Cloud, Musée d’art et d’histoire de Saint-Cloud, 2013, 34 pages.

Sources documentaires annexes :

Musée du domaine départemental de Sceaux : lots de cartes postales sur les destructions de Saint-Cloud liées à la guerre. Documents soumis à autorisation pour reproduction.

Baronnet (Jean), Regard d'un Parisien sur la Commune.Photographies inédites de la bibliothèque historique de la Ville de Paris, Paris, Gallimard, 2006. Voir pages 38-52, photographies d'Hyppolyte Blancard.

 

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