LA RESISTANCE DE FALGUIERE : de la neige au bronze
Pendant l'hiver 1870-1871, Hippolyte Moulin sculpta La République dans la neige, une sculpture éphémère dont le dessinateur Bracquemond préserva l'image en un un dessin. Mais l'histoire des sculptures éphémères du siège de Paris est bien plus riche. Ce jour de décembre 1870, sur les remparts de la capitale assiégée, ce n'est pas une oeuvre qui fut réalisée mais deux. En contrepoint de la République de Moulin, Alexandre Falguière réalisa une sculpture qu'il baptisa La résistance. Bracquemond en réalisa aussi le dessin ci-contre. Mais Théophile Gautier a également rapporté toute l'histoire dans Le Moniteur universel. Récit :
Musée de neige : « La 7e compagnie du 19e bataillon de la garde nationale contient beaucoup d’artistes peintres et statuaires, blasés bien vite sur les péripéties de l’éternel jeu de bouchon, et qui ne demandèrent pas mieux que d’occuper d’une autre manière leurs loisirs d’une faction à l’autre. La pipe, le cigare, la cigarette, aident à brûler le temps : les discussions d’art et de politique le tuent quelquefois ; mais on ne peut toujours fumer, parler ou dormir. Or, depuis trois ou quatre jours, il est tombé une assez grande quantité de neige, à moitié fondue déjà dans l’intérieur de Paris, mais qui s’est maintenue sur le rempart, plus exposé au vent froid qui vient de la campagne. Et comme il y a toujours chez l’artiste, quel que soit son âge, un fond d’enfance et de gaminerie, à la vue de cette belle nappe blanche l’idée d’une bataille à coups de boules de neige se présenta comme une distraction de circonstance. Deux camps se formèrent, et des mains actives convertirent en projectiles les flocons glacés et brillants recueillis sur les talus. L’action allait s’engager quand une voix cria : « Ne vaudrait-il pad mieux faire une statue avec ces pains de neige ? » L’avis parut bon, car MM. Falguière, Moulin et Chapu se trouvaient de garde ce jour là. On dressa un semblant d’armature en moellons ramassés de côté et d’autre, et les artistes, à qui M. Chapu servait complaisamment de praticien, se mirent à l’œuvre, recevant de toutes les mains les masses de neige pétrie que leurs passaient leurs camarades.
« M. Falguière fit une statue de la Résistance et M. Moulin un buste colossal de la République, se servant d’une baïonnette pour ébauchoir. Deux ou trois heures suffirent à réaliser leur inspiration, qui fut rarement plus heureuse. Ce n’est pas la première fois, du reste, que de grands artistes daignent sculpter ce marbre de Carrare, qui descend du ciel sur la terre en poudre scintillante. [… Gautier cite ici le cas de Michel Ange réalisant une statue de Pierre de Médicis dans la cour du palais à Florence]
La statue de M. Falguière est placée au bas d’un épaulement, non loin du corps de garde, sur le bord du chemin de ronde et regarde vers la campagne. L’artiste délicat à qui l’on doit le Vainqueur aux combats de coqs, Le petit martyr et l’Ophélie, n’a pas donné à la Résistance ces formes robustes, presque viriles, ces grands muscles à la Miche Ange, que le sujet semble d’abord demander. Il a compris qu’il s’agissait ici d’une Résistance morale plutôt que d’une Résistance physique, et au lieu de la personnifier sous les traits d’une sorte d’Hercule femelle prête à la lutte, il lui a donné la grâce un peu frêle d’une Parisienne de nos jours.
« La Résistance, assise, ou plutôt accostée contre un rocher, croise ses bras sur son torse nu avec un air d’indomptable résolution. Ses pieds mignons, s’appuyant, les doigts crispés, à une pierre, semblent vouloir s’agrafer au sol. D’un fier mouvement de tête, elle a secoué ses cheveux en arrière comme pour faire bien voir à l’ennemi sa charmante figure, plus terrible que la face de Méduse. Sur ses lèvres se joue le léger sourire du dédain héroïque, et, dans le plu des sourcils, se ramasse l’opiniâtreté de la défense qui ne reculera jamais. Au bas de cette statue improvisée, M. Falguière a eu la modestie d’écrire en lettres noires sur une planchette : La Résistance. L’inscription était inutile. En voyant cette figure d’une énergie si obstinée, tout le monde la nommera, quand même elle n’aurait as à côté d’elle son canon de neige.
« Il est douloureux de penser que le premier souffle tiède fera fondre et disparaître ce chef d’œuvre ; mais l’artiste a promis d’en faire, à sa descente de garde, une esquisse de terre ou de cire pour en conserver la vie et le mouvement.
« Sur le point le plus élevé de l’épaulement domine le buste colossal de la République, de M. Moulin, dont le regard, par-dessus le bastion semble plonger au loin dans la campagne. Mais ce n’est pas de là qu’il faut la voir ; le bon endroit est sur le chemin de ronde, au pied du talus. Quand l’artiste travaillait la tête de sa République, dont les lignes doivent être arrangées et combinées pour son plafonnement considérable, ses amis lui criaient d’en bas : « Rajoute du front, soutiens la joue, avance le menton, remets de la neige au bonnet ! » Et l’artiste, penché sur son épaulement comme un ouvrier grec au sommet d’un fronton, écoutait les indications et les critiques, et le buste prenait une beauté majestueuse et terrible.
« Quelle admirable matière que ce paros céleste qu’on nomme la neige ! Quelle blancheur immaculée, quelle finesse de grain, quels scintillement de mica et de paillettes d’argent ! Avec quelle douceur les pâles figures modelées dans ce duvet soyeux se détachent sur le fond d’ouate du brouillard et des arbres lointains, semblables, au bas du ciel gris, à de légères fumées rousses ! »
Sources :
Darcel (Alfred), "Les musées, les arts et les artistes pendant le siège de Paris". Gazette des Beaux-arts, 1er novembre 1871, 5e livraison.
Gautier (Théophile), Le Moniteur universel.
Mise à jour du 29 janvier 2019 :
La réalisation de la sculpture de neige par Falguière a donné lieu à la réalisation de dessins ou gravures comme celle trouvée aujourd'hui dans la banque de données de Getty images. Elle est signée Philippoteaux.