ARMANDA POLOUET ET Mlle BOULAY-RIVIERE A CHATEAUDUN ?
En 1870, les femmes ne furent pas que des victimes de guerre. Nombre d'entre elles furent actrices de celle qui opposa la France à la Prusse. La receveuse des postes Juliette Dodu, l'infirmière Coralie Cahen, la jeune Louise Nay-Imbert, les cantinières, les comédiennes de Paris qui transformèrent les théâtres en ambulances pendant le siège de Paris, les trois combattantes officiellement identifiées (Jane Dieulafoy, Marie-Antoinette Lix et Marie Favier-Nicolaï), Adèle Riton... etc. Il n'est pas possible de les citer toutes ici. Parmi elles, notons quand même, dans l'enfer de Châteaudun (ville soumise aux violentes représailles de la 22e Division de cavalerie du général von Wittich), sept autres femmes : Marie Jarrethout qui y fit le coup de feu, la Soeur Jeanne Chantal qui cacha des combattants dans son établissement pour les soustraire aux exactions prussiennes, la toute jeune Laurentine Proust (16 ans) et Armanda Polouet que secondaient sa tante et deux religieuse identifiées par Jules Pichon comme étant les soeurs Valérie et Marie-Eugénie.
Armanda Polouet était l'organiste de la cathérale, membre du comité de secours aux blessés. Soucieux de lui rendre hommage, Edouard Ledeuil raconte : "quand, le 18 octobre 1870, avec l'heure de midi, le bombardement de Chateaudun commence, on voit une frêle jeune fille, vêtue de noir, traverser la place et frapper à l'hôpital, c'est Mlle Polouet. Elle a fait le sacrifice de sa vie. Partout où sa présence est nécessaire, elle court. Les obus ne respectent rien : ni l'asile des vieillards, ni les ambulances. Qu'importe ? Elle va de l'un à l'autre, pour être la première à recevoir les blessés. [...] Escortée de sa tante et de deux soeurs de l'hospice, elle part, guidant les pas de ses compagnes, relevant les blessés aux barricades, et arrachant à l'incendie les vieillards affolés. L'horreur de ce spectacle donne à son âme de l'audace." Armanda Polouet interpelle également le général von Wittich quand elle croise son chemin. Pour plus de précision sur son histoire, je renvoie au témoignage d'Edouard Ledeuil (1873) et au travail de Jules Pichon (1898).
Ledeuil ne dit rien, en revanche, de Laurentine Proust. Sans doute n'a-t-il pas croisé son chemin [Voir sur ce point l'erratum publié à la fin de ce message]. Jules Maurie (1893) puis Jules Pichon (1898) comblent cet oubli. Elle aussi s'engage au côtés des défenseurs de la ville pour leur apporter vivres et munitions, secourir les blessés, voire les évacuer. Elle y risque sa vie. Dans la furie du combat, une balle traverse son chignon. Tout au long de la journée, elle est secondée par son jeune frère de 12 ans.
L'une de ces femmes figure-t-elle dans le tableau de Félix Philippoteaux (1879), La défense de Châteaudun (18 octobre) ? Manifestement, l'artiste connaît son sujet. Il a du lire le récit qu'Edouard Ledeuil a publié dès le mois de septembre 1871. Les détails du tableau (les deux francs-tireurs de Paris au premier plan à gauche, les pompiers qui apparaissent au second plan, par exemple), sont conformes à celui-ci. Les deux personnages féminins présents à l'image (sur la droite, dans un mouvement qui les conduirait à sortir du cadre) le sont-ils aussi ? Peut-on reconnaître dans ces deux silhouettes une des "héroïnes" du jour ?
Aucune des deux femmes ne peut être Marie Jarrethout. Celle-ci était cantinière (la silhouette proposée par Félix Philippoteaux n'en porte pas le costume) et elle fit le coup de feu dans une rue (on est ici sur la place et aucune des deux femmes n'est armée). La femme à terre, en revanche, est "toute de noir vêtue" ce qui correspond à la description que Ledeuil donne d'Armanda Polouet. Mais alors qui secourt celle qui est sensée secourir les autres victimes ? Peut-il s'agir de Laurentine Proust ? Il n'est pas interdit de le penser, mais l'hypothèse ne résiste pas longtemps à la critique. Si le tablier qu'elle retient de la main gauche semble lourd de vivres, munitions ou objets de premiers secours qui font bien penser à Mlle Proust, la femme en question semble avoir plus de 16 ans, nulle part n'apparaît le petit frère qui l'accompagnait et les témoignages n'associent jamais les deux héroïnes. Par ailleurs, Edouard Ledeuil ne parle pas de Laurentine Proust. S'il s'appuie sur son seul texte, Félix Philippoteaux n'aurait donc pas de raison de la mettre en scène. Ledeuil précise, en revanche, que Mlle Polouet était secondée par sa tante, Mlle Boulay-Rivière. Cette dernière n'est-elle donc pas la deuxième femme du tableau ? L'hypothèse, cette fois, semble plus convaincante : l'âge du personnage (une femme mûre, apparemment), l'aide qu'elle est sensée apporter à sa nièce. Ne portait-elle pas pour celle-ci (dans son tablier ?) le matériel de premier secours dont elle avait besoin ?
Félix Philippoteaux réalisa une autre oeuvre consacrée au drame du 18 octobre, aujourd'hui propriété du musée de la ville : La barricade tournée (1883). Dans ce tableau, on remarquera encore la présence d'une femme secourant un blessé (à gauche). Pas plus que dans La défense de Chateaudun, il ne peut s'agir de Marie Jarrethout. Sa coiffe fait plutôt penser à une habitante de la ville aidant un homme en blouse bleue (un civil et non un soldat). Est-ce là une référence à Laurentine Proust ? Rien n'interdit de le penser, mais rien ne permet non plus de le certifier. Il faudrait plutôt y voir une anonyme parmi celles qui s'impliquèrent ce jour là. Si le général de Lipowski loua le soutien qu'il reçut des civils, il ne reconnaît aucune femme parmi ces derniers. Elles étaient « trois cents vingt sur mille combattants » assurent au contraire Paul et Henry de Trailles. Ces derniers ne donnent aucun moyen de vérifier ce chiffre mais il est plus plausible que le zéro pointé du commandant en chef !
Erratum [26 avril 2019] : j'écris ci-dessus "Ledeuil ne dit rien, en revanche, de Laurentine Proust. Sans doute n'a-t-il pas croisé son chemin." C'est une erreur de ma part que monsieur Loison me permet de corriger. Voir L'héroine de châteaudun.
Sources :
Lecaillon (Jean-François), Les femmes en France pendant la guerre de 1870 [titre provisoire], texte inédit, Paris 2018.
Ledeuil (Edouard), Campagne de 1870-1871. Châteaudun 18 octobre 1870. Paris, A. Sagnier, septembre 1871.
Ledeuil (Edouard), "Armanda Polouet", cité par Miscellanées, 1873.
Lipowski (général Ernest de), La Défense de Châteaudun, suivie du rapport officiel adressé au ministre de la guerre. Paris : Impr. de C. Schiller, 1871
Maurie (Jules), Le livre du bon soldat : exemples de patriotisme appliqués à la théorie, 1893.
Pichon (Jules), Les femmes soldats. Limoges, imprimerie Ussel frères, 1898.
Trailles (Paul et Henri), Les Femmes de France pendant la guerre et les deux sièges de Paris. Paris, F. Polo, 1872.
voir aussi L'écho républicain du 21 juillet 2018 annonçant la restauration de La barricade tournée.