L'HOMMAGE RATE AUX HEROINES DE 1870
Pendant la guerre de 1870-1871, des femmes se sont engagées aux côtés des soldats. Quelques-unes ont combattu. Le fait est souvent oublié. Si décorations, médailles militaires et autres citations leur ont été accordées, leurs mérites n'ont pas été reconnus à l'égal des hommes. Tandis que les monuments aux morts se multipliaient pour honorer ces derniers, rien ne fut érigé en leur mémoire. J'évoquais déjà le problème l'an passé dans Les cantinières oubliées de 1870.
Dans Le Petit Journal du 25 septembre 1911, Jean Lecoq s'indigne d'ailleurs d'une si scandaleuse ingratitude. Sa colère fait suite à la disparition de Mme Urvois, cantinière décédée sans avoir reçu la médaille commémorative de 1870 ! Et le journaliste de s'emporter contre le fait qu'un monument qui devait être élevé à la mémoire des héroïnes de 1870 n'ait "même pas reçu un commencement de réalisation" ! "Honneur au sexe! Ce serait galant et bien Français" lance-t-il pour conclure.
La colère de Lecoq semble d'autant plus justifiée que le projet a bien existé et, contrairement à ce qu'il en dit, il aurait trouvé commencement de réalisation. Sur ce point, il a même suscité l'ironie de L'intransigeant dans son numéro du 14 mai 1909. [page 2, col. 4, Nos échos] "La charrue avant les boeufs" ! Sous ce titre, le journal annonce la formation d'un comité pour la réalisation du monument en question, lequel existe déjà ! "Le cas est assez curieux pour être noté" ! (sic). L'oeuvre en question a été réalisée par Eugène-Jean Boverie. Elle est présentée au Salon des Artistes français de l'année (1909). Selon Gil Blas du 2 mai 1909, il figure "la veuve tragique, farouche en deuil, les bras hauts croisés, (qui) regarde fixement au loin. Point d'emphase en cette rigidité." Telle est la description d'une oeuvre qui fait peut-être partie d'un lot de bronzes qui furent fondus en 1942. Elle ne frappe guère les contemporains et ne mérite que deux lignes dans la Gazette des Beaux-arts (p. 251).
Quelle que fut sa valeur artistique, l'oeuvre avait surtout un tort : réduire les héroïnes de 1870 à l'image de la veuve stoïque, si loin de celle de la cantinière qui a fait le coup de feu à Buzenval (Mme Urvois) ou de ces femmes qui justifiaient la satisfaction exprimée par Jean Frollo de voir les héroïnes de 1870 enfin honorées. Dans Le petit Parisien du 31 janvier 1908, après s'être étonné que l'idée de dédier un tel monument n'ait pas été envisagée plus tôt, il anticipe sur l’hommage annoncé : « Sur le socle, bien des noms auront à s’inscrire, qu’on relira avec quelque émotion. » souligne-t-il avant de proposer ceux de dix sept héroïnes parmi lesquelles Antoinette Lix, madame Saint-Claire, madame Bellavoine ou Laurentine Proust.
Boverie, pourtant, ne manquait pas d'inspiration et on peut s'étonner qu'il ait réduit les héroïnes de 1870 à la figure de la "veuve tragique". Il était sculpteur habitué à réaliser des oeuvres faisant souvenir de la guerre franco-prussienne. Parmi d'autres [voir ci-dessous] on lui doit notamment le monument aux morts de Neufchâteau, réalisé en 1900 mais érigé le 7 octobre 1909, autrement dit l'année même où il présentait au Salon son "héroïne" de 1870. Celui-là donne à voir une figure mieux appropriée qu'une femme en deuil fixant l'horizon pour incarner les Marie Favier, Jane Dieulafoy, Marie-Antoinette Lix et autres Louise de Beaulieu, les femmes combattantes de 1870-1871.
Epilogue : Dans son numéro du 17 août 1915 [page 4], Le Figaro annonce le décès de Louis Ferrant, architecte et auteur d'un projet visant à élever un monument aux héroïnes de 1870. Quel projet ? Un autre ou celui décidé en 1909? Le journal ne le précise pas. Sans doute les détails étaient-ils sans importance à cette date. A l'heure où les Françaises se mobilisaient pour répondre à l'effort imposé par la Grande Guerre, le souvenir des aînées de 1870 semblait peut-être bien dérisoire !
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Né en 1869, Boverie est mort en 1910. Il est le réalisateur de plusieurs monuments souvenirs de 1870.
- Le fantassin, 1901, monument aux morts de Chartres.
- Un mobile, 1901-1903, plâtre conservé au Musée des Beaux-arts de Nantes.
- Le monument, souvenir de la guerre de 1870, 1900 monument aux morts de Neufchateau.
- Aux défenseurs de Verdun, 1909, monument aux morts de Verdun, fondu en 1942.