ERNEST NIVET, MEMOIRE PACIFISTE DE 1870
28 octobre 1900, inauguration du monument aux morts de 1870 à Buzançais. Sur la place de cette petite ville de l'Indre, une colonne. Sur un côté, écrasée de douleur, une femme en pierre blanche du Poitou cache ses larmes dans sa manche. Depuis une douzaine d'années, le Souvenir français (1887) entretient alors la mémoire des soldats morts en 1870. Les monuments se multiplient dans les communes de France. Mais celui de Buzançais tranche sur tout ce qui se produit d'ordinaire. Le mobile de Croisy n'a pas retenu l'attention des souscripteurs, ni aucun autre projet figurant un soldat.
Elève, disciple et maîtresse de Jules Vallès, Séverine (alias Caroline Rémy) s'est entichée de cette oeuvre quelques années plus tard. Dans La Volonté elle déclare que La pleureuse de Nivet devrait prendre place sous l’arc de triomphe. Rien de moins.
Ce défi lancé par Caroline Rémy tient sans doute au message qu'Ernest Nivet entendait donner à son oeuvre, un message pacifiste qui n'a plus rien d'exceptionnel à l'époque (porté par Frédéric Passy, Francis de Pressenpré le fondateur de la ligue des droits de l'homme, voire le douanier Rousseau en peinture, le pacifisme reprend alors des couleurs en France). Nationalistes et partisans de la revanche ne s'y trompent pas et le font savoir. La pleureuse fait l'objet d'actes de vandalisme. Par deux fois, sa main droite est mutilée. "Pour Caroline Rémy, c’est une bonne raison que de se faire championne de la cause du « gars Nivet »." (Tillier, 1987, p.87).
Nivet ne s'en laisse pas compter. En 1909, il remporte le concours pour le monument d'Issoudun. S'il change de registre, il n'entend pas renoncer à son souci de dénoncer la guerre. Les traits déformés par la douleur, la mère, cette fois, est posée en véritable allégorie de la Colère et de la Vengeance souligne Bertrand Tillier en 2001. Il ne s'agit pas "d'une image revancharde, mais bien de l'expression de la douleur paroxystique" écrit-il. "Avant 1914, Nivet a donc élaboré deux monuments aux morts [...] se préservant toujours d'une quelconque apologie de la guerre". Il est déjà dans l'esprit des monuments de la Grande guerre ayant maudits la guerre ou véhiculé un esprit pacifiste. Nivet fut d'ailleurs le réalisateur de plusieurs de ces derniers, à Levroux, Eguzon, La Châtre, Châtillon-sur-Indre, Hattonchâtel et Châteauroux. Avec les deux monuments aux morts de 1870 réalisé avant la Grande guerre, Nivet se posait ainsi comme un véritable précurseur.
Courtin (Jacky), Ernest Nivet, soixante-dix ans après sa disparition, La nouvelle République, février 2018.
Lacour (Francesca), Ernest Nivet. Vie et destinée d’un praticien de Rodin, Éditions Lucien Souny, 2018. 344 pages
Lacour (Lucien), "A ses héros vaincus, l'Indre reste fidèles!". Le monument aux morts de la guerre de 1870 à Châteauroux", Revue de l'Académie du Centre, 2017 ; p. 197-223.
Tillier (Bertrand), Ernest Nivet, sculpteur. Des fenêtres ouvertes sur la vie. 1987.
Tillier (Bertrand), Ernest Nivet, Le paysan, la terre et le sculpteur (1871-1948), Paris, Séguier, 2001.
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