CAROLUS DURAN ET LA GUERRE DE 1870
Comme beaucoup d’artistes bloqués dans Paris en 1870, Carolus-Duran est enrôlé au 19è bataillon de la garde nationale où il côtoie Bracquemond, Toulmouche, Bonnat, Gervex, Puvis de Chavannes ou Ziem. « C’est un pur vaillant » écrit de lui Zacharie Astruc (lettre à Ida du 8 septembre 1870). Pour autant, il n’abandonne pas son atelier du passage Stanislas (aujourd’hui rue Jules Chaplain). Il y aurait réalisé L’espagnole (Musée des Beaux-arts de Valenciennes), « comme un dérivatif à la guerre ». Il fait aussi le portrait de son ami Berthon en tenue de garde national, qui est daté de décembre 1870.
S’il peint ou dessine, Carolus-Duran ne se dérobe pas à ses devoirs patriotiques. Zacharie Astruc en témoigne en date du 24 octobre : « Carolus, en relevant une charrette, s’est blessé grièvement à une main. La chair des doigts était restée au bois. Il va beaucoup mieux maintenant ». La blessure n’empêche pas l’artiste d’œuvrer ; de participer aux combats pas davantage. Début décembre, il participe à la bataille de Champigny. Elle lui inspire La gloire, souvenir du siège de Paris. Ce n’est qu’une esquisse, une œuvre inachevée selon Annie Scottez-De Wambrechies que « le peintre a préféré garder pour lui n’éprouvant pas la nécessité de la transposer dans une version définitive ».
La dérision de la guerre telle qu’il la découvre et représente l’obsède. Carolus-Duran participe encore à la bataille de Buzenval (19 janvier 1871). La mort de Regnault, ce jour là, l’atteint au plus profond de lui-même. Jules Clarétie qui l’accompagne sur le champ de bataille raconte : « Le lendemain de Buzenval, nous étions ensemble sur le terrain plein de morts, lorsque Carolus-Duran nous parlait de ce tableau futur : La gloire ! Un moment nous nous rapprochâmes de ce mur sinistre contre lequel tant d’efforts étaient venus se briser, et derrière lequel gisaient encore tant des nôtres. Carolus-Duran jeta un coup d’œil sur ces cadavres et, parmi eux, roulé dans sa capote brune, crispé, les cheveux noirs frisés, il aperçut un mort qu’il crut reconnaître.
- Je suis sûr que c’était Regnault, m’a-t-il bien souvent dit depuis. ».
Cette certitude se traduisit par la réalisation de Henri Regnault, mort au champ de bataille.
« Regardez, c’est la guerre, Saluez c’est la gloire ! » écrit encore Clarétie soucieux de traduire la pensée de son ami.
« Quelques pas plus loin, nous trouvions l’acteur Seveste qui souriait, et qu’une voiture emportait à l’ambulance – au cimetière ». Clarétie corrige ainsi parce qu’il sait que le comédien, amputé, décède quelques jours plus tard, le 30 janvier. (voir Jules Didier SEVESTE, mort à Buzenval).
Le 10 mars 1871, Carolus-Duran obtint un laissez-passer pour se rendre en Belgique, à Bruxelles où il reprit son métier de portraitiste, immortalisant Gustave Tempelaere, le marchand de tableaux.
NB : Lorsque l’inventaire de l’atelier fut fait après décès (le 7 avril 1921), le n°100 fut attribué à une Tête coupée qui pourrait avoir été réalisée pendant la guerre (selon Scottez).
Sources :
Astruc (Zacharie) : lettres à Ida, archives de la bibliothèque centrale des musées nationaux, fonds Astruc.
Clarétie (Jules) : « Carolus-Duran », Peintres et sculpteurs contemporains, 2nde série,« artistes vivants en 1881 », 1884 ; p.169.
Scottez-De Wambrechies (Annie) in Carolus-Duran, 1837-1917. RMN, Paris, 2003.
Article publié en complément de Les peintres français et la guerre de 1870 en attendant une nouvelle édition complétée. On peut rêver, non ?