LA CONTREGUERILLA AU MEXIQUE (TALADOIRE)
Si, comme le souligne la 4è de couverture de ce livre, l’Iintervention française au Mexique est méconnue du grand public, le rôle de la contre-guérilla l’est plus encore pour une raison que rappelle Eric Taladoire : hors récits de témoignages, rapports orientés et romans, elle n’a donné lieu qu’à des analyses assez confidentielles. Pour avoir travaillé sur la perception que les populations indiennes du Mexique ont eue de la campagne (thèse en 1984), j’ai croisé le chemin de cette unité. J’ai même caressé l’idée de travailler le sujet mais le cheminement du chercheur est erratique et ne le mène pas toujours où il veut, quand il veut. Spécialiste des mayas et du jeu de balle, Taladoire le sait bien, lui qui exauce avec ce livre une envie longtemps laissée sous son boisseau. Je me félicite qu’il soit parvenu à réaliser ce travail qui prend toute sa place dans l’historiographie de l’Intervention.
Malgré toutes les difficultés de l’entreprise du fait de sources aussi éparpillées que difficiles à traiter, Taladoire retrace l’histoire de la contreguérilla, ses manières d’opérer, ses méthodes de recrutement ; il dresse le portrait des principaux acteurs. Ceux qui s’intéressent aux opérations strictement militaires y trouveront sans doute leur compte.
L’intérêt du livre porte aussi sur le point que Taladoire énonce en sous-titre : Des forces spéciales au XIXe siècle. Dans ce cadre, il pose le problème de la légitimité des moyens de la guerre tel qu’il fut soulevé dès la création de la contre-guérilla. En quoi celle-ci fut-elle un modèle de forces spéciales avant l’heure susceptible de faire école ? En quoi, même, était-elle compatible avec la défense des valeurs dont la France de Napoléon III, héritière de 1789, et l'archiduc Maximilien pouvaient se prévaloir ? Dès le chapitre 5, Taladoire lance le débat en replaçant son sujet dans la longue histoire des forces dites « spéciales », renvoyant le lecteur à des conflits d’autres temps et lieux. Certes, comparaison n’est pas raison. Taladoire le sait bien et la mise en perspective qu’il fait ne le conduit pas à sortir de son sujet. Il le met seulement en valeur.
La contreguérilla française fut-elle une unité de mercenaires brutaux ou de soldats efficaces face à des adversaires dont l’appréciation oscille, selon les points de vue, entre « chefs de bandes ou héros » ? La guerre menée par Dupin fut « sans nul doute atroce mais c’est dans ce dessein que l’unité a été créée », dans le cadre d’une guerre « où les atrocités mutuelles ont été légion ». La contre-guérilla était bien une unité spéciale de combattants auxquels fut confié le sale boulot avant qu’ils ne soient lâchés par les autorités du moment parce qu’ils n’étaient pas présentables. Toute l’hypocrisie des conflits se retrouve dans cette histoire, parce que, c’est bien connu, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ! « Dupin bouc émissaire idéal » écrit Taladoire, mais victime paradoxale de ses détracteurs car « le mouton noir est celui dont se souvient l’histoire, en France comme au Mexique » !
Le débat entre les fins et les moyens tel qu'il resurgit à chaque guerre, quand les valeurs auxquelles nos sociétés sont attachées sont remises en cause par la nécessité sécuritaire, est ainsi posé dans ce livre. Question essentielle en ces temps de menaces terroristes, laquelle ne justifie pas les dérives, mais les explique, aide à les comprendre et invite à ne pas juger hors contexte.
Sources :
Taladoire, Eric, Les contre-guérillas françaises dans les terres chaudes du Mexique (1862-1867). Des forces spéciales au XIXe siècle. Paris, L'Harmattan, 2016.
Kératry, La contre-guérilla au Mexique, souvenirs des Terres Chaudes, Paris, 1869.
Charles-Louis Du Pin, fiche wikipédia.
L'intervention française au Mexique : fiche wikipedia
Forum sur la contreguerilla au Mexique