MEMOIRES DE 1870 ET OPINION PUBLIQUE

 Mémoires picturales de 1870 et opinion publique en France avant 1914

Présentation allégée de l'article. Quinze pages au format PDF (avec douze reproductions de tableaux) que vous pouvez télécharger sur la page des "articles" (guerre de 1870) ou en cliquant sur le lien associé au titre ci-dessus. Extraits : 

Les peintres-témoins de la guerre ont-ils contribué à l’entretien de la germanophobie ? Peut-on affirmer que la mémoire de 1870 entretenue par les œuvres d’Édouard Detaille a réussi à imposer l’idée de la Revanche au détriment d’un projet plus pacifique ? […]

Souvenirs bien partagés des peintres

Le vécu des artistes-témoins face à la guerre franco-prussienne a été très varié. Dans leur grande majorité, ils ont tous été lourdement affectés par le conflit. Les raisons de garder mauvais souvenirs de 1870 n’épargnent aucun d’entre eux. […]

Bien partagé, le traumatisme génère toutefois des réactions très différentes. Des artistes de toutes les écoles ignorent le sujet « guerre de 1870 ». Ils ne font pas mémoire de 1870. Cette indétermination des réactions de refus du sujet selon les écoles se retrouve dans l’exercice de sa représentation. […]

Pour autant, ces artistes ne tirent pas les mêmes leçons de l’Année terrible, raison pour laquelle ils ne choisissent pas d’en entretenir (ou pas) les mêmes images. L’analyse des œuvres conduit à distinguer au moins quatre courants.

Mémoire revanchiste et entretien de la germanophobie

L’humiliation de la défaite fit apparaître un désir de revanche incarné par Édouard Detaille. Spécialiste de la représentation de la guerre de 1870, il est la figure emblématique d’un travail de mémoire mis au service d’une cause à laquelle il voue une partie de sa vie. […]

Cette peinture qui fait mémoire explicite de 1870 plait à un large public. Par la force de l’image, elle entretient l’animosité envers le Prussien. Une mémoire plus pacifique de 1870 lui fait cependant concurrence.

Souvenir douloureux de 1870 et pacifisme

Certains parmi ceux qui gardaient du conflit un souvenir de « boucherie inutile » rêvent de paix. 

Le thème de la paix est peu prisé, il donne toutefois lieu à des réalisations fortes dans la période 1900-1914. Avec Les représentants des puissances étrangères venant saluer la République en signe de paix (1907), Henri Rousseau exprime clairement son pacifisme. […]

Ces artistes mettent leur talent au service de la réconciliation. De 1870, ils ne parlent pas. […]

Avec Au temps d’harmonie (1893-1895), Signac offre un bon exemple d’œuvre […] que ne dépareilleraient pas La promenade et la plage à Trouville (Monet, 1870), une vision de L’été (Puvis de Chavannes, 1873), Un dimanche à la grande Jatte (Seurat, 1884-1886), un paradis (Gauguin, D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? 1897-1898) ou Le bonheur de vivre (Matisse, 1905-1906).

Ces œuvres ne font pas mémoire de 1870. Chacune, dans son style, fait témoignage d’un monde idéal pour mieux détourner le public de tout enfer, telle une guerre de Revanche qui fait beaucoup parler d’elle. Signac n’est pas un cas isolé. Richard Thomson donne d’autres exemples d’artistes œuvrant dans des optiques similaires. Il le dit aussi sans ambages : « on voit bien comment les artistes s’emploient à « apaiser » en plaidant à travers leurs œuvres pour la paix. »

La Revanche par l’art : penser 1870 sans jamais le peindre

Des artistes rêvaient de prendre revanche par l’art et la culture. Si la guerre de 1870 restait une blessure à soigner, ils n’entendaient pas s’employer à cette tâche en figurant sur leurs toiles des images de guerre. Pour eux, la France disposait de talents autrement plus puissants que les canons pour asseoir sa supériorité. Le revanchisme par les arts et la culture favorisa la production d’œuvres ignorant les références à la débâcle. […]

Toutes ce œuvres seraient l’expression picturale du précepte énoncé par Gambetta à propos de l’Alsace : « y penser toujours, n’en parler jamais ».

La mémoire de la Commune, une mémoire concurrente de 1870

La semaine sanglante a produit des souffrances aussi marquantes que la débâcle militaire et a généré une mémoire de 1870 concurrente. Ceux qui gardent souvenirs de la répression de mai 1871 font mémoire d’une revanche ; mais celle-ci se fixe sur les Versaillais. Ce changement de cible ne nous écarte pas de la mémoire de 1870. Au contraire, elle en fait partie. […]

Ignorer 1870, vecteur de paix ou laisser-faire la guerre ?

Jusqu’à la veille de la Grande guerre, les artistes fidèles à la tradition restent influents. Mais, face à la concurrence des avant-gardes, ils résistent mal.

La paix et la guerre ne sont pas au programme des artistes qualifiés de « modernes ». Pour eux, le sujet n’est qu’un prétexte. Dans ce contexte, toute peinture se donnant vocation d’entretenir une mémoire historique est reléguée en seconde division. Un art qui ne se préoccupe plus que de lui-même et de s’exposer dans un esprit de rupture avec les traditions ne conduit-il pas à ignorer toute matérialisation des mémoires sur les toiles ? […]

Les peintres français se sont faits porteurs de mémoires concurrentes. Leurs engagements se sont équilibrés, renvoyant chaque mémoire à d’autres vecteurs de consolidation ou d’affaiblissement. Les peintres ont participé à l’entretien de ces mémoires, ils ne les ont pas imposées. Ils restent miroir de leur époque ou de leur milieu.

bibliographie :

Butler (Augustin de), Renoir. Ecrits, entretiens et lettres sur l’art. Paris, les éditions de l’Amateur, 2002.

Joyeux-Prunel (Béatrice), Les avant-gardes artistiques, 1848-1918. Paris, Gallimard, Folio/ Histoire, n° 249, 2015.

Laborie (Pierre), Les Français des années troubles. De la guerre d’Espagne à la Libération. Paris, Point/Seuil, 2003 (2001).

Lecaillon (Jean-François), Souvenirs de 1870, histoire d’une mémoire. Paris, Giovanangeli éditions, 2011.

Lecaillon (Jean-François), Les peintres français et la guerre de 1870. Paris, Giovanangeli éditions et éditions des Paraiges, 2016.

Ponka (Annabelle Kienle), Monet, un pont vers la modernité. Musée des Beaux-arts du Canada, 2015.

Renoir (Jean), Pierre-Auguste Renoir, mon père. Paris, Gallimard, collection Folio, n° 1292, 1981.

Rodary (Samuel), Correspondance de Manet pendant le siège et la Commune. L’échoppe, 2014.