MEMOIRE DE 1870 ET PEINTRES EN 1911
La mémoire de 1870 est-elle portée par les peintres à la veille de la Grande guerre ?
Le déclenchement de celle-ci suggère l'idée que le revanchisme entretenu par Edouard Detaille a fini par gagner la bataille des images, celle qui pouvait l'opposer à des artistes plus soucieux de paix et de réconciliation franco-allemande, sinon totalement indifférents à la question. Toutefois, le marché de l'art tel qu'il se dessine à l'avant-veille de la guerre ne semble pas valider cette idée. Les oeuvres influentes créées et/ou exposées à Paris en 1911 en témoignent.
Pourquoi "en 1911" plutôt que 1910 ou 1912 ?
Entre les quatre années qui précèdent la guerre, les différences sont marginales sur cette question. 1910 ou 1912 feraient aussi bien l'affaire. Deux raisons, au moins, président au choix de 1911 :
- Rester à distance de 1914 sans trop s'en éloigner, le temps que le public voit les oeuvres sans les oublier et qu'il s'en approprie l'esprit.
- Se donner la possibilité de référer à Edouard Detaille avant sa disparition en 1912. 1911 est, de ce fait, la dernière année où il crée et donne à voir comment, en tant qu'artiste partisan actif de la Revanche, il s'emploie à entretenir la mémoire de 1870.
En 1911, en effet, Détaille réalise Le hussard au galop. Il travaille surtout à la réforme des uniformes de l'armée pour laquelle il peint Projets pour les nouveaux uniformes présenté en 1912. S'il ne fait pas référence explicite à 1870, il n'en prépare pas moins son public à la guerre qui doit effacer l'humiliation de l'Année terrible.
Au Salon de l'Académie des Beaux-arts, devenu Salon des artistes français depuis 1881, la tradition est au rendez-vous. Petit florilège qui comporte son lot de peintures militaires toujous susceptibles de faire écho aux appels revanchards du moment [pour en voir plus sur les oeuvres exposées que celles reproduites ci-dessous, cliquez sur le lien ci-devant] :
Nouveau grand spécialiste de la peinture militaire, Eugène Chaperon présente son Comte de Ségur à Somo Sierra.
Mais les avant-gardes qui s'exposent au Salon des Indépendants, au Salon d'Automne ou au Salon cubiste (sans compter les galeries à la mode) interpellent davantage l'opinion. Bien que critiquées par un public de plus en plus enclin à "juger l'art à l'aune de critères politiques" (voir Joyeux-Prunel 2015, p. 396), elles n'en détournent pas moins celui-ci d'une mémoire de 1870 qu'elles n'évoquent jamais.
Autres oeuvres créées en 1911, signées Denis, Matisse, Monet...
... Gleizes, Delaunay ou Braque.
Sur la foi de ces exemples assez représentatifs du moment, la mémoire de 1870 n'apparaît pas vraiment à l'image. Une seule Scène de la guerre franco-prussienne par Wilfrid Beauquesne date de 1911. Chigot travaille à La prise d'un château par les Français contre les Prussiens qu'il ne présente qu'en 1912 [NB : nous n'avons pas d'images de ces oeuvres].
Il ne s'agit pas d'en déduire que la mémoire de 1870 est inaudible ou sans visibilité à l'approche de la guerre, seulement qu'elle n'est pas portée par le petit monde des peintres qui font l'actualité. Pour le dire autrement, ce n'est pas du côté des avant-gardes picturales qu'il faut chercher manifestation d'un nationalisme revanchard. En tous cas, pas encore...
Si la mémoire de 1870 reste vivante en 1911, elle se transmet par d'autres voies (cartes postales, almanachs, journaux...).
Quelques lectures pour approfondir la question :
Joyeux-Prunel (Béatrice), Les avant-gardes artistiques, 1848-1918. Paris, Gallimard, FolioHistoire n°249, 2015.
Lecaillon (Jean-François), Les peintres français et la guerre de 1870. Paris, Giovanangeli éditions - éditions des Paraiges, 2016.
Thomson (Richard), La république troublée (1889-1900), Presses du Réel, 2008.
Vatin (Philippe), Voir et montrer la guerre (1914-1918). Presses du Réel, 2013.