DE NITTIS, PEINTRE DE LA REVANCHE... PAR LES ARTS
De Nittis, peintre de la reconstruction de Paris au lendemain de l'Année terrible ? N'est-il pas plus encore : un peintre de la Revanche ? Non pas la revanche par la guerre, mais par le redressement de la France via les arts, la culture et (en l'occurrence) l'architecture, un redressement dont il témoigne à travers la représentation d'une ville en pleine transformation ?
En 1903, Moreau-Vauthier plaide en ce sens. Commentant Place des pyramides (1875), il écrit : « Tandis que les ruines des Tuileries se devinent là-bas vers la Seine, le geste de la Bonne Lorraine – au-dessus du petit monde de passants, marchande d’oranges, trottin, badauds qui personnifient l’activité de la population – ne parait-il pas monter dans le ciel et lancer aux échafaudages du pavillon de Marsan un sursum corda de courage et d’espérance ? ». Dominique Morel, qui rapporte cette citation, semble adhérer à l'idée : « La Place des pyramides est […] aussi un message d’espoir et d’optimisme, écrit-il. La Jeanne d’Arc qui pointe vers le ciel son étendard fièrement dressé, non loin des échafaudages du pavillon de Marsan, incite à l’optimisme et au redressement national, après le traumatisme des destructions de la Commune et du siège de Paris." (in Guiseppe de Nittis : la modernité élégante. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la ville de Paris, Paris 2010 . p.152).
Selon les critiques de 1881, assure Francesca Castellani (Ibid.,"De Nittis entre Degas et Manet", p.51), de Nittis était « imprégné d’actualité jusqu’à la moelle ». Si tel est le cas, comment ne pas voir dans ses nombreux tableaux figurant la restauration des monuments de Paris l'expression d'un espoir, celui que Puvis de Chavannes appelait de ses voeux lors du Salon de 1872 ?
Pour accréditer cette idée, quelques tableaux témoignent de l'intérêt que de Nittis vouait aux chantiers de Paris ou à la représentation d'une ville nette de toute destruction.
1874, Promenade aux Champs-Elysées, (ci-contre) l'arc de Triomphe est masqué par les échafaudages.
1876, La construction du Trocadéro (ci-dessus, à droite) illustre la volonté de redressement national dans le cadre de l'exposition universelle à venir.
1876, dans Pont sur la Seine (I), de Nittis tourne le dos au Louvre comme pour mieux oublier les cicatrices de la guerre qui marquent encore le bâtiment.
Le même souci de montrer une ville animée, reconstruite, sans ruine transparaît dans toute la série des ponts et Le long de la Seine (ci-dessous), oeuvres réalisées dans les années 1875-1876
1878, Le percement de l'avenue de l'Opéra (ci-dessous) abandonne les chantiers réparateurs au profit de ceux qui ont vocation à transformer la ville, comme aux plus beaux jours des travaux entrepris par le baron Haussmann.
Les ruines des Tuileries (1882) est-elle une oeuvre qui vient démentir notre propos ? Pas si simple. "Le tableau a une valeur documentaire évidente" (Ibid, D.M., p.170), Encore faut-il mettre en lumière cette évidence : "L'artiste a choisi de représenter les Tuileries peu de temps avant leur démolition", précise Dominique Morel. Est-ce là une manière d'annoncer la fin d'une époque (le second Empire et ses guerres) au profit d'une nouvelle plus heureuse (la République et ses valeurs universelles) ?
"A droite, on aperçoit le pavillon de Marsan désormais débarrassé de ses échafaudages", fait remarquer Dominique Morel, alors que de Nittis a pris soin d'estomper les ruines des Tuileries, quasiment indétectables à l'image. Le peintre veut-il nous dire que le temps de la destruction est fini ?
"Au premier plan, deux groupes de personnages appartenant à des milieux sociaux opposés se croisent sans se voir" (D.M.). La figuration de ces personnages fait-elle écho à la représentation des bâtiments de l'arrière-plan ? A gauche, les "Dames" quittent l'image comme s'y prépare le chateau condamné à disparaître l'année suivante (1883) quand les humbles entrent en scène au premier plan, à droite, devant le Carrousel et le Louvre restaurés et pleine lumière. Faut-il y voir une allégorie sociopolitique ? Nous sommes là dans le domaine de l'interprétation, bien sûr. Mais les indices qui permettent d'en accréditer le bien fondé sont sérieux.
Comme pour parachever ce parcours dans le monde d'un Paris promis à des jours meilleurs, de Nittis réalise Chantier (1883).
Impossible d'identifier les lieux représentés ! Les coupoles ou pyramides tronquées en arrière-plan évoquent des monuments parisiens. Mais comment ne pas voir, surtout, une promesse de renouveau dans cet échafaudage dressé vers le ciel ?
A lire, sur un sujet proche : Les impressionnistes et les ruines de Paris (1871-1883)