LES CHIENS ET LA GUERRE DE 1870
[Le texte qui suit comporte plusieurs mises à jours. Voir en fin de page]
Le chien est un personnage très présent dans le cadre de la guerre de 1870. Récits de souvenirs, caricatures et autres représentations picturales l'évoquent abondamment comme cible des Parisiens affamés. Dans un des tableaux les plus connus du siège de Paris, Clément-Auguste Andrieux figure aussi le fidèle compagnon de l’homme en bonne place.
Mais le chien fut-il autre chose que l’ami de son maître ou un produit alimentaire de substitution ?
La question s’impose au vu de la lithographie ci-dessous signée Jules-Descartes Férat et représentant la bataille de Gravelotte. Au premier regard, le détail se distingue à peine. Il ne fait pourtant aucun doute : au premier plan de son tableau, Férat représente un chien. Celui-ci court à l’ennemi, des fanions aux couleurs tricolores dans la gueule !
Fantaisie de l’artiste ou figuration d’une réalité dont il eut connaissance ? Sur quel témoignage s’appuie-t-il pour dessiner cet animal en plein assaut ?
Une recherche rapide permet d’attester la présence de chiens mascottes dès le début du siècle. S’appuyant sur Wikipédia, le site Passion animaux, qui consacre une page aux « animaux de guerre », l’assure : « Les chiens ont une longue et ancienne utilisation dans l’histoire militaire. Le chien de guerre a été utilisé comme chien de combat, chien de garde, courrier, chien de détection ou de pistage, voire chien destructeur de tank ». Plus précisément, si le chien fut utilisé en France comme animal de garde des installations navales jusqu’en 1770 (voir chiens de garde sur Wikipédia), sa présence comme mascotte ou « compagnon d’arme » apparaît dans les armées du premier comme du second empire. Dans sa thèse soutenue en 2003, Sébastien Polin, doctorant vétérinaire, écrit : « Pendant la guerre de Crimée, les zouaves français se servaient de chiens, essentiellement pour la défense des tranchées et des avant postes. »
Pour la même période, Félix-Joseph Barrias figure justement la présence d’un chien mascotte dans son Défilé de l’armée d’Orient daté de 1854 (voir ci-contre).
Dix ans plus tard (ici, à gauche), Alexandre Bellangé place un chien au premier plan de ses Soldats d'infanterie au camp de Châlons en 1864. La partie de loto.
Autre témoignage offert par Le monde illustré, ce chien de la légion étrangère tombé à Solferino (1859) aux côtés de ses compagnons d’armes.
Que des chiens aient été présents dans quelques unités de la guerre de 1870 n’est donc pas totalement dénué de fondements. L’hypothèse se trouve confortée par les deux maîtres de la peinture militaire relative au conflit franco-prussien, deux artistes réputés pour leur exigence en termes d’authenticité des détails. Dans Entrée des parlementaires allemands à Belfort le 16 février 1871 (1884), de Neuville place un chien au premier plan à gauche. Rien n’indique que cet animal soit associé à une unité militaire. Il y a tout lieu de penser, au contraire, qu’il figure un animal errant ou attaché à une famille belfortine. Le détail si visible ne manque pas toutefois d’étonner (du 3 novembre 1870 au 18 février 1871, la ville a subi un siège de trois mois et demi) et d’interroger.
En revanche, avec le chien proposé par Édouard Detaille dans son panorama de Rezonville, Tambour-major de la garde impériale et son chien, le doute n’est plus permis. L’artiste propose bien la représentation d’un animal fétiche attaché à son maître.
Ces œuvres n’expliquent pas l’initiative de Férat. Elles ne présument pas non plus d’une réalité répandue. La présence des chiens dans les armées françaises de 1870 est sans doute anecdotique. L’administration des Postes françaises imagina bien de les utiliser comme passeur de messages. « En janvier 1870, le ballon Général Faidherbe les déposa en province, mais aucun des chiens n'est revenu dans Paris. » (Wikipédia) Mais, au regard de ce qui se passaient dans les troupes allemandes où la présence de chiens à l’initiative des soldats est avérée, les Français semblent en « retard » sur la question. En témoignent ces quelques lignes extraites du livre de Patrick Cendrier intitulé Des chiens et des hommes. En page 157, l’auteur ouvre un chapitre sur les chiens sanitaires par une anecdote qui se déroule précisément à Gravelotte (comme le tableau de Férat) : « le 19 août 1870 (…) on trouva en parcourant le champ de bataille de Gravelotte deux blessés de la brigade mixte Lapasset, tombés dans la journée du 16 août et réfugiés à une distance d’environ trois cent mètres l’un de l’autre dans des excavations de terrains. Ils n’avaient pas vu âme qui vive depuis l’instant où ils étaient tombés et pourtant le terrain avait été traversé par les belligérants et fouillé par les ambulanciers. Il est hors de doute qu’un chien dressé à cet usage les aurait rapidement découverts. »
Ces constats ne répondent pas à la question soulevée par la lithographie de Férat : un des régiments impliqués dans les combats de Gravelotte avait-il une mascotte canine qui s’exposa lors des assauts du jour ? L’énigme reste entière.
année 2015
Information rajoutée à ce message le 4/07/2016 :
Dans une lettre du 7 octobre 1870 adressée à son amie Louise Swanton-Belloc, Adélaïde de Montgolfier raconte une foule "qui entourait un mobile rapportant un bout du sabre d'un officier prussien (ce mobile en a tué trois Prussiens) et ramenait aussi le chien d'un d'eux". [in Emma Lowndes, récits de femmes pendant la guerre franco-prussienne (1870-1871), L'Harmattan, Paris, 2013 ; page 119]
Mise à jour du 05/06/2017
"Ici gisait le cadavre du général français Douay, son petit chien sur les jambes ; son aide de camp, qui avait été blessé à ses côtés, un homme aimable, instruit, m’a dit que le général avait été touché… par notre artillerie si efficace." (Journal de guerre du Prince Frédéric Charles).
Dans son célèbre tableau Le Kronprinz Friedrich-Wilhem devant la dépouille du général Abel Douay (1888), Anton Von Werner multiplie les détails. Outre les restes du repas sur la table (à gauche), on notera la présence d'une machine à coudre placée sous la fenêtre. Un tissu sur lequel vient d'être cousue une croix-rouge est encore sur la chaise. Les Français n'ont pas encore eu le temps de hisser ce drapeau à proximité de la maison transformée en ambulance.
Dans le cadre de ce message, on notera surtout, la présence d'un chien sur le corps du défunt. Ce détail authentifié par le Kronprinz dans son journal de guerre suggère l'idée que le général était accompagné de cet animal lors de la campagne.
Mise à jour du 05/11/2017
Oscar Huguenin est un peintre suisse qui fit de nombreux dessins de l'armée Bourbaki réfugiée en Suisse. Parmi ceux-ci, L'hommage d'un frère d'arme est une parfaite illustration de la présence de chiens accompagnant les soldats.
Sur Huguenin, voir la biographie mise en ligne par La société neuchateloise de généalogie. Voir aussi le musée de La Sagne (lieu de naissance du peintre et romancier).
Mise à jour du 08/11/2017
Olivier Berger réagit au message ci-dessus en me signalant un article qu'il a publié en 2014 dans le cadre d'un colloque-rencontre du groupe "des bêtes et des hommes". Antérieur à mon texte, cet article confirme la présence des chiens auprès des armées dans la cadre de la guerre de 1870. Sur la base d'autres sources, et se penchant davantage sur les bêtes qui accompagnaient les Prussiens, il nous donne d'intéressantes informations sur le rôle ou l'image de ces chiens dans le cadre de la guerre. Ses conclusions sont fort différentes de celles évoquées ici, mais pas forcément en opposition. Je renvoie toute personne intéressée à ce texte :
Berger (Olivier), "Chiens des Français, chiens des Allemands : une représentation particulière durant l'occupation de 1870", Une bête parmi les hommes : le chien. De la domestication à l'anthropomorphisme, Troisième rencontre internationale des Bêtes et des Hommes. Amiens, Encrage Université, 2014. p. 365-382.
Mise à jour du 01/01/2018
La présence du chien se lit encore dans cette gravure de Morel , illustration des Chants du soldat. Mais l'animal ainsi représenté peut être un chien errant qui accompagne la troupe sans lui être lié. Il n'en va pas de même dans cet autre figuration qui met en scène un chien participant au combat contre des Prussiens en opération de pillage. L'animal, en l'occurrence, réagit en solidarité avec des soldats, nullement des villageois. Il est bien dans l'attitude d'un animal de troupe.
Mise à jour du 28/06/2018 : voir "le chien du commandant Habert"
Mise à jour du 14/01/2019 :
Il y a aussi un chien dans Le rêve d'Edouard Detaille, au premier plan. Cet exemple ne renvoie pas à la guerre franco-prussienne de 1870, mais il témoigne de la présence de l'animal dans les rangs de l'armée.... selon l'artiste.
Mise à jour du 1er août 2020 :
Aquarelle de Septime Le Pippre, dessinateur décédé le 2 janvier 1871 des suites d'une blessure reçue lors de la bataille du Mans.
Dessin de Charles J. Staniland, Retraite de l'armée française sur la Loire.
Mise à jour du 6 novembre 2020 :
Eugène Chaperon peint un chien accompagnant son défilé de dragons dans la plaine de Patay, A l'aube (tableau présenté au Salon des Artistes de 1880.