TYPOLOGIE DES REPRESENTATIONS
Typologie commentée
des représentations de la guerre franco-prussienne (1870-1871)
Les Français sortent de la guerre franco-prussienne dans un état de sidération et d’abattement amplifié par l’insurrection communarde qui livre la capitale aux flammes de l’incendie. L’expérience de ce qui a été vécu est alors posée comme moyen de comprendre le désastre. Dans ce contexte, nombre de témoignages s’exposent en images. Celles-ci sont une forme d’expression particulièrement efficace dans la mesure où elles disent vite au spectateur la complexité du ressenti. Dans les premiers temps, elles aident aussi les vaincus à surmonter l’humiliation de la défaite et à se reconstruire.
Le corpus de peintures relatives au conflit de 1870 décompte 1051 œuvres au recensement[1] de juin 2024, lesquelles peuvent encore être augmentées d’innombrables dessins, gravures, estampes... Les artistes étant récepteurs et émetteurs des émotions collectives, leur étude permet de cerner les sentiments les mieux partagés par l’opinion publique de l’époque.
Comment ces images répondent-elles au besoin de traduire les émotions des témoins, le devoir de faire mémoire d’une communauté ou son souci de raconter l’histoire ?
L’étude invite à dresser une typologie des œuvres. Celle-ci use de termes sur lesquels il faut d’abord s’entendre.
Le sujet des représentations est la guerre de 1870, évènement complexe, inscrit dans une durée de 7 mois, difficile à représenter en une seule image.
La représentation renvoie à toutes les formes d’expression iconographiques se rapportant au sujet. Elle donne à voir un épisode ou une vision de celui-ci. Elle dépend de ce que le témoin a perçu, de ce qu’il en retient, des intentions qui guident la main de l’artiste qui la produit.
Le perçu recouvre les réalités qui se sont imposées aux capteurs sensoriels du témoin et été enregistrées par son cerveau. Il n’est pas le sujet.
L’intention est le but visé par l’artiste. Entre besoin d’extérioriser une souffrance, souci de témoigner, devoir de mémoire, transmission d’un message, celle-ci varie. L’intention peut aussi être plurielle en combinant plusieurs nécessités.
L’interprétation présente le sujet tel que l’artiste le conçoit au moment où il le fixe. À ce titre, la date de création est essentielle. Plus l’image est fixée vite, moins elle risque d’être polluée par des informations reçues a posteriori. Cette particularité ne veut pas dire qu’elle soit plus proche du réel.
La pollution de la représentation est toute information étrangère au perçu intégrée à l’œuvre lors de sa création. Elle est l’effet de quatre modes de relecture plus ou moins associés :
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par l’épilogue du sujet (la défaite), la connaissance de celui-ci changeant la compréhension que le témoin s’en fait.
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par le contexte de restitution, selon que l’artiste se propose de présenter sa vision du sujet, de rendre hommage à un de ses acteurs ou d’honorer une commande.
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sur la foi de preuves historiographiques, l’artiste les intégrant par souci d’authenticité.
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par instrumentalisation militante si la représentation a vocation à soutenir une cause.
Deux paramètres importants doivent encore être pris en compte :
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L’oubli, processus naturel qui commence dès le moment du perçu et qui conduit le témoin à effacer de son récit tout ce qu’il juge inutile ou secondaire.
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La culture que le témoin et l’artiste entretenaient en amont de l’évènement. Elle sert toujours de filtre aux interprétations.
Tous ces paramètres instituent la diversité des représentations.
A. Les représentations en direct
Les représentations en direct sont des images créées par des artistes au moment où ils assistent à la scène. Par définition, elles sont réalisées entre la mi-juillet 1870 et la fin janvier 1871. Elles proposent des sujets assez statiques et sécurisées pour être fixées : portraits, paysages, ruines, champ de bataille après l’affrontement, soldats en faction, vues de l’arrière dans la mesure où celles-ci peuvent être rapportées au conflit. Les scènes de combat sont rares, toujours réalisées en léger différé. Le témoin n’est pas en position de dessiner celles-ci en direct.
Les artistes travaillant en direct ne sont pas metteurs en scène de ce qu’ils figurent. L’épisode s’impose à eux. Les scènes ont tendance à être plus anecdotiques qu’historiques. Toutes les images se présentent sur un même plan ; l’importance évènementielle de ce qui est représenté n’est pas encore bien évaluée.
À la différence des images hors direct, ces représentations sont d’abord des dessins, croquis, études... Les huiles existent mais sont rares. Les créateurs sont soucieux d’aller à l’essentiel, objectif qui génère une sélection de ce qui mérite d’être montré. Les créations ne sont pas figurations strictes du sujet.
La force du direct réside dans l’authenticité du perçu mis en image, ce qui ne signifie pas celle des faits. En contrepartie, elles souffrent d’une vision limitée du sujet global.
Ce type de représentation est réalisé par n’importe quel artiste confronté à une situation qui l’inspire. La diversité qui en découle permet d’offrir une multiplicité de visions différentes de la guerre, sinon à l’image de la société – les artistes sont issus d’un milieu social assez homogène – au moins à celle des sensibilités politiques du moment.
Quatre types peuvent être distingués
A.1 Les représentations médiatiques réalisées pour le compte de journaux illustrés. Elles ont l’avantage d’être bien identifiées et datées, de coller au sujet dans son déroulement chronologique, voire de proposer un narratif quand elles sont intégrées à une série ; en revanche, elles sont dépendantes du média qui impose ses contraintes techniques et sa ligne éditoriale.
A.2 Les représentations d’acteurs de la guerre sont produites par des artistes sous l’uniforme ou attachés à un service lié au conflit (une ambulance, par exemple). À la différence des illustrateurs de journaux dont l’acte de représentation est la priorité, ils s’y conforment selon les circonstances. Les images données à voir sont plus anecdotiques ; dans leur subjectivité, elles sont aussi plus personnelles.
A.3 Les représentations par des spectateurs non acteurs du conflit (ni comme soldats, ni comme membres d’un service lié à la guerre). L’artiste est alors témoin par excellence. Il est plus neutre parce que moins impliqué par le sujet qu’il traite : il est moins tenté de se justifier. Sa position ne signifie pas qu’il soit plus objectif.
A.4 Les paysages de la guerre ne sont pas un genre adapté à la représentation de celle-ci. Rares sont les tableaux qui en usent. Ces paysages traduisent bien, cependant, une atmosphère, expression des états d’âme face à la guerre.
Exemples :
A.1 Les dessins publiés pendant la durée de la guerre d’Auguste Lançon.
A.2 Les croquis extraits des carnets de René Princeteau.
A.3 Les tableaux et études de Gustave Doré.
A.4 Effet de neige à Petit-Montrouge d’Édouard Manet.
L’exemple par Édouard Detaille
A.2 Le coup de mitrailleuse (dessin) : En novembre 1870, lors d’une reconnaissance, Detaille est confronté à une scène qui le marque. Il en fait aussitôt un dessin. Celui-ci représente un rang de tirailleurs saxons fauchés par une arme automatique. Detaille témoigne en direct de ce qui l’émeut.
A.4 Effet de neige aux environs de la Porte Maillot ; novembre 1870 ne serait peut-être pas vu comme figuration de la guerre si la date n’était spécifiée. Detaille ne figure pas celle-ci en tant que telle. Tout dans l’ambiance qui se dégage du tableau évoque toutefois les souffrances endurées par les Parisiens soumis aux rigueurs du siège (la faim, le froid). Regardé à la lumière des indices figurés (présence de soldats, arbres sciés pour faire bois de chauffage, date du tableau au mois près), ce paysage est bien posé comme une image de la guerre en cours.
B. Les reconstitutions
Les reconstitutions sont des représentations qui font appel aux souvenirs des témoins. Elles ne sont pas créées en situation ou quelques heures après le vécu comme celles dites « en direct ».
Les reconstitutions se font plutôt dans les années 1871-1885. Elles sont portées par la conviction des témoins. Elles sont le produit d’enquêtes méticuleuses qui renforcent leur authenticité. Cette dernière est toutefois trompeuse du fait de la fragilité des souvenirs, de témoignages parfois contradictoires et des petits arrangements avec la réalité produits par les artistes-interprètes.
Trois types se distinguent
B.1 Les reconstitutions autobiographiques peintes par ceux qui ont vu. La biographie des artistes confirme leur présence sur les lieux qu’ils prennent pour sujet. Plus que ce qu’il a vu, l’artiste reconstitue ce qu’il retient de son vécu, rétention qui renvoie aux détails qui ont canalisé son attention et conditionné son regard. Il restitue aussi ce qu’il juge important et oublie tout une série de perceptions quand il les juge secondaires.
La référence au souvenir est parfois inscrite dans le titre de l’œuvre. Bon indicateur, l’indice n’est cependant pas suffisant. Il peut même être trompeur, certains tableaux catalogués « souvenir » ne s’appuyant sur aucun vécu de témoins.
La majorité de ces reconstitutions (près de 55 %) date des années 1870 ; 24 % environ sont créées entre 1886 et 1890, période marquée par le mouvement boulangiste.
B.2 Les reconstitutions sur témoignages sont le fait d’artistes qui s’emparent des récits diffusés par d’autres. L’intention est toujours de décrire la guerre telle qu’elle a été perçue.
L’artiste n’est jamais absolument fidèle à ses sources. Le passage du récit à la représentation lui impose ses contraintes techniques. Des données que les témoins n’ont pas fournies lui font défaut. Il ne s’interdit pas non plus les petits arrangements. Les reconstitutions sont des interprétations (celles des artistes) d’interprétations (celle des informateurs).
Dans les Salons, nombre de ces reconstitutions se reconnaissent aux cartels qui leur sont attachés (informations données par l’artiste sur son œuvre, référence au récit utilisé comme source). Sans être généralisé, le procédé se répand à partir de 1875. La pratique est l’expression d’un souci d’authenticité.
B.3 Les montages sont des reconstitutions qui combinent dans une même image plusieurs situations distinctes pour proposer une vision d’ensemble. Chaque morceau du montage est le produit d’un souvenir plus ou moins revu et corrigé.
Exemples :
B.1 Morts en ligne, bataille de Bazeilles d’Auguste Lançon (1873).
B.2 Épisode de la guerre de 1870 (bataille de Josne) par Jules Monge (1886).
B.3 Les Tirailleurs de la Seine à la Malmaison d’Étienne Prosper Berne-Bellecour (1875).
L’exemple par Édouard Detaille
B.1 Tirailleurs saxons morts (gouache, 1870) : Le coup de mitrailleuse fait rapidement l’objet d’une transposition picturale. La ressemblance entre les deux représentations est nette. Les différences trahissent le souci du peintre de traduire son émotion. Elles apparaissent surtout dans les arrière-plans et affectent peu la rangée des Saxons. Ces variations relèvent de choix techniques (améliorer un équilibre, effacer un détail susceptible de distraire le regard du spectateur, accentuer la dramaturgie de la scène en faisant mieux voir le bras dressé d’un mort, par exemple).
B.2 La charge des cuirassiers de Morsbronn (1874) est une reconstitution sur fond de témoignages croisés. Pour réaliser son tableau, Detaille s’appuie sur ceux des survivants et s’emploie à reproduire strictement le décor du village. L’œuvre (version de Reims) est pourtant critiquée dès son exposition au Salon pour ses erreurs ou invraisemblances. Detaille entreprend alors d’en faire une seconde version (tableau de Woerth (vers 1875-1877). La principale question qui justifie cette reprise porte sur la présence ou non d’une barricade en travers de la rue principale de Morsbronn.
B.3 Combat à Villejuif, Siège de Paris, 19 septembre 1870 (1871) donne à voir plusieurs situations (le coup de canon, l’édification du remblai, des soldats au repos), qui n’ont probablement pas eu lieu au même moment. Par le jeu des juxtapositions, l’artiste donne à voir des petits tableaux dans le tableau. L’œuvre est une composition qui réunit des réalités que l’artiste a très probablement croquées à des moments différents. Il y en a une aussi qu’il n’a pas vue en tant que telle : celle où il se représente poussant une brouette. Le montage propose une synthèse de souvenirs, une interprétation de ceux-ci.
C. Les inventions
Les inventions renvoient toujours à une réalité ayant existé. La représentation est seulement proposée pour d’autres fins que le témoignage. Il s’agit de montrer la guerre « telle qu’il faut la voir ».
Les représentations deviennent images au service d’un spectacle ou d’un devoir de mémoire. Elles ont la force du message associé, de l’émotion qu’elles s’efforcent de susciter. Elles souffrent en retour d’un haut degré de partialité.
Quatre types se distinguent :
C.1 Les panoramas ont vocation à immerger le spectateur dans un tableau à 360 degrés. L’objectif est de proposer un spectacle. La manière de traiter le sujet s’en trouve affectée[2].
L’exercice nécessite d’importants travaux préparatoires. Les artistes se rendent sur place pour identifier les paysages, les bâtiments... Le recours aux sources (historiques et témoignages) permet d’identifier les unités militaires de manière à les placer là où elles ont opéré.
Le spectacle donné s’inscrit dans le mouvement de résilience qui marque la France à la fin des années 1870 - début des années 1880.
Comme les montages, les panoramas proposent une vision plurielle faite d’images d’épisodes censés être concomitants.
C.2 Les inventions montrent la guerre telle que l’artiste veut l’inscrire dans la mémoire du public. À l’occasion du Salon de la peinture militaire de 1887, le critique d’art Jules Richard expose l’idée qui doit présider, selon lui, à la création des œuvres de peintures militaire : « C’est la patience et le courage de ceux qui ont fait leur devoir qu’il est nécessaire de rappeler et d’héroïser. »[3] Dans cette perspective, le souci d’efficacité supplante celui d’authenticité.
Le devoir d’héroïsation revient à effacer les détails qui fâchent. Il favorise aussi la démultiplication d’œuvres traitant du même épisode. Les variations qui en découlent montrent que l’invention au service de la « belle image » l’emporte sur la vérité factuelle.
Le recours à l’invention provoque une raréfaction des scènes identifiées au profit des Épisodes de la guerre (sic) anonymes. Le nombre de ces derniers augmente au fil des années. La pratique a l’avantage de laisser plus de liberté aux artistes, celle dont ils ont besoin pour amplifier l’héroïsation attendue tout en se démarquant de leurs aînés.
Les inventions sont principalement l’affaire de spécialistes de la peinture militaire. L’homogénéité académique en ressort.
C.3 Les hommages figurent les mérites d’acteurs de la guerre. Le but est de mettre en valeur leurs qualités afin d’exprimer la reconnaissance d’une collectivité. Ces finalités incitent les artistes à ignorer les détails contre-productifs. En regardant l’œuvre, le spectateur doit éprouver une émotion suscitant le respect. Là encore, l’efficacité mémorielle l’emporte sur l’authenticité factuelle.
Les hommages concernent quelque 7 à 8 % des œuvres. Leur création est plutôt précoce, entre 1871 et 1875 pour un quart d’entre elles. Elles ont vocation à aider les proches à faire le deuil quand le sujet de l’hommage a été tué. Un autre quart couvre la période 1888-1899, celle qui connait les crises Boulanger, Dreyfus et Déroulède. Le souci de faire mémoire se fait alors à des fins militantes. Les personnages mis en valeur cessent d’être des disparus.
L’hommage peut être collectif. Tous les tableaux qui mettent l’accent sur une unité militaire précise en relèvent. Mais ces œuvres, qui n’identifient pas les combattants, font aussi représentations d’épisodes de la guerre et sont plus souvent classées avec les inventions de type B.2. L’hommage peut être individuel. Il se reconnait à l’inscription du nom du personnage honoré dans le titre du tableau. L’hommage peut encore se faire par le biais du portrait. Si celui-ci ne fait pas représentation de la guerre, il y renvoie.
C.4 Par définition, allégories et apparentements sont des inventions. L’allégorie propose une fiction qui puise dans l’imagination de l’artiste nourrie des conventions symboliques du genre. L’invention l’emporte sur toute forme de réalisme.
Comme représentation de la guerre de 1870, l’apparentement est indécelable a priori. Il ne figure pas le sujet. Seul un sous-titre, une notice, un propos du peintre, voire la réception de l’œuvre par la critique, attestent de la parenté. Une des raisons de la démarche fut la peur de la censure connue à l’occasion du salon de 1872, redoutée pour celui de 1873. La démarche peut aussi renvoyer à la spécialisation de l’artiste dans la représentation d’une époque.
L’invention se traduit aussi par le recours à des fictions littéraires.
Exemples :
C.1 Le Panorama Marigny (bataille de Buzenval) de Théophile Poilpot et S. Jacob (1883).
C.2 L'Entrée des parlementaires allemands à Belfort d’Alphonse De Neuville (1884).
C.3 Le curé de Bazeilles (1879) par Jean-Léon Pallière.
C.4 L’énigme de Gustave Doré (allégorie, 1871) ; L’invasion d’Évariste Luminais (1872) ; Boule de Suif par Paul Boutigny (1884).
L’exemple par Édouard Detaille
C.1 Le Panorama de Rezonville (1883) montre comment Édouard Detaille, et Alphonse De Neuville avec lui, s’attache à l’épisode : « j'ai voulu montrer un champ de bataille dans sa réalité, sans poses conventionnelles, sans composition outrée, et sans aucune de ces invraisemblances enfantines que le public accueille avec trop de bonne foi. Au panorama de Champigny, je préfère le panorama de Rezonville, comme plus réel, et donnant mieux l'impression de la bataille telle qu'elle est » [4]. Detaille et De Neuville, qui ont vu la guerre, estiment cependant qu’elle est « un triste spectacle que le pinceau ne saurait reproduire, cela causerait trop de répugnance »[5]. Cette pudeur n’affecte pas ce qui prime à leurs yeux : la nécessité de traduire l’émotion du soldat plus que la vision narrative de l’historien, le spectacle d’abord.
C.2 Le salut aux blessés ! (1877) est une curiosité où se mêlent souvenirs, reconstitution, invention dans un désordre qui témoigne des contraintes que subissent les artistes d’une part, des libertés qu’ils s’autorisent d’autre part. Detaille en appelle sans doute à ses souvenirs pour mettre en scène une colonne de prisonniers français salués par leurs vainqueurs. La scène dépeinte ne permet pas, cependant, de renvoyer à une situation vécue et croquée en direct, sauf à imaginer que Detaille soit un prisonnier sorti du rang pour immortaliser la scène, situation que sa biographie infirme. Il la reconstitue donc, voire l’invente.
De ce tableau, il existe une autre version représentant une colonne de prisonniers allemands escortés par des hussards français et salués par un général français. C’est la même scène dont les acteurs ont échangés leurs uniformes. Ce jeu de substitutions trahit l’intention de l’artiste : rendre hommage aux combattants français. Dans la première version, il dit toute la considération que les prisonniers français méritent parce qu’ils ont été braves ; ils marchent la tête haute. Dans la seconde, la considération va aux Prussiens, mais le salut des Français est l’expression de la dignité du traitement qu’ils réservent aux vaincus.
C.3 Paul et André Déroulède à Sedan (s.d.) est un hommage rendu au leader du mouvement revanchiste. L’œuvre met l’accent sur les deux frères traités en gros plan de manière à pouvoir reconnaître leurs traits. Toutes les qualités des deux hommes sont mises en avant (solidarité du soldat soutenant son camarade blessé, bravoure des hommes encore sous le feu de l’ennemi) quand la réalité du champ de bataille est effacée par le cadrage serré et le nuage de poudre qui permet de masquer les horreurs de la guerre.
C.4 Le Rêve (1888) n’est pas une représentation de la guerre de 1870. L’œuvre est pourtant devenue l’étendard du revanchisme par référence à la défaite de 1870. L’artiste invente au service d’une cause ; par référence aux armées de l’an II ou du 1er Empire, il fait de la revanche une sorte d’allégorie prophétique.
D. Les Représentations post bellum
Des artistes ont choisi de représenter la guerre après la fin de celle-ci. Elles sont souvent ignorées comme représentations de la guerre parce qu’elles figurent ses effets et non celle-ci. Elles en exposent malgré tout les émotions affectant ceux qui ont vécu le conflit.
Quatre types se distinguent :
D.1 Les ruines sont des représentations peu prisées par les peintres. La concurrence de la photographie les a aussi dissuadés. Pour le spectateur, elles font constat peu exaltant de la guerre. Elles sont pourtant traduction physique de la sidération publique.
Ces tableaux ont été réalisés tôt (entre 1871 et 1875), le temps que les destructions se maintiennent dans le paysage. Le sujet réapparaît entre 1890 et 1910. Ces œuvres tardives sont plutôt réalisées par des artistes pacifistes s’employant à rappeler au public les méfaits de la guerre.
D.2 Les dommages collatéraux se lisent dans des œuvres qui disent la guerre après le terme officiel de celle-ci, telles les scènes de soins à des soldats convalescents ou d’accidents liés au conflit.
D.3 L’attente des Alsaciens-lorrains sont des représentations créées principalement par des artistes issus des provinces perdues. Elles traduisent une mémoire spécifique qu’incarne L’Alsace. Elle attend ! de Jean-Jacques Henner (1871). Ce particularisme régional s'explique : pour les ressortissants des régions concernées, la guerre n’est pas l’épopée du passé, elle est encore présente à travers un de ses effets.
D.4 Les chantiers de la reconstruction sont une manière de dire la mémoire de la guerre à front renversé. Bertrand Tillier l’assure, on peut lire ces tableaux « comme des œuvres de réparation réelle et symbolique – des images de rétablissement après les traumatismes de 1870-1871 »[6].
Exemples :
D.1 Les ruines du château de Saint-Cloud d’Édouard Dantan (s.d.).
D.2 Après la guerre de Paul Legrand (1905).
D.3 La jeune Alsacienne de Camille Pabst (s.d.).
D.4 Le Pont en réparation de Claude Monet (1872) .
E. Les non-représentations de la guerre
[voir la version intégrale]
La typologie traduit l’extrême variété des ressentis et réactions face à l’évènement. Le cas d’Édouard Detaille, artiste qui parcourt presque toutes les pratiques recensées, montre que rien n’est prédéterminé, tout dépend des circonstances et des intentions.
Classement des œuvres répertoriées (en construction)
Pour la version intégrale, demandez-la en commentaire.
[1] Répertoire des représentations de la guerre franco-prussienne, blog Mémoire d’histoire, 28 novembre 2023.
[2] Voir Robichon, François, « Émotion et sentiment dans les panoramas militaires après1870 », Revue suisse d'art et d'archéologie, Zurich, 2021, p. 281 ; disponible en ligne sur e-periodiac.ch
[3] Richard, Jules, Le Salon de la peinture militaire de 1887, Paris, Piaget éditeur, 1887.
[4] Robichon (2021) ; p. 284-286.
[5] Lettre de De Neuville du 8 décembre, citée par Robichon, François, Alphonse de Neuville, 1835-1885, Nicolas Chaudun, 2010.
[6] Tillier, Bertrand, La Commune de Paris, révolution sans images ? Politique et représentations dans la France républicaine, 1871-1914. Paris, Champ Vallon, 2004 ; p. 372.
[7] Redon, Odilon, A soi-même, journal 1867-1915, Librairie José Corti, 2011 (1961) ; p. 97-98